Lettre 308 : Henri Justel à Pierre Bayle

[Londres, le] 31/21 Juillet[16]84

Monsieur

Je ne me suis pas donné l’honneur de vous escrire depuis quelque temps, parce que j’ay esté à la campagne. La personne sur qui j’ay jetté les yeux pour traduire les Transactions d[’]Angleterre [1] est ici depuis quelques jours. Il m’a temoigné qu’il auroit bien de la joye d’entreprendre ceste traduction là. Je luy ai proposé de traduire une Transaction ou Journal, afin qu’il voye s’il pourra en venir à bout. Je luy ai promis qu’on l’aideroit et qu’on luy expliqueroit ce qu’il y auroit de difficile et qu’il n’entendroit pas bien. Quand il aura faict cela je vous l’envoirai et vous manderai* ce qu’il pretend en avoir. On vend douze sous les Transactions ou un schiling. Si vous vouliez donner à la Societé Royale vostre journal, je vous ferois avoir les Transactions tous les mois, au moins je le proposerai et je ne doute point que m’a [ sic] proposition ne soit bien receue parce que vos transactions sont estimées de tous les honnestes gens. Mr Boyle [2] les lit avec plaisir et plusieurs autres personnes eclairées et capables d’en juger. Je n’ai encore veu que la premiere. Mr d’Ablancourt [3] m’a mandé qu’on les trouvoit tres bien faictes et qu’on en faisoit à Paris le cas qu’elles meritent. Il me mande que vous avez surpassé tous ceux qui s’en meslent. Je vous donnerai avis des livres qui s’imprimeront ici tant en latin, qu’en anglois, afin que vous vous en puissiez servir utilem[en]t quand l’occasion / s’en presentera. On croit que Mr Jurieu doit respondre au Protestant pacifique sous un nom emprunté [4] ou en parlant de quelque autre chose, ce qu’il scaura faire à propos. Je serois bien aise de voir le factum contre Mr Arnaud [5] dont on m’a fort parlé et escrit de Paris. Je vous serois bien obligé si je pouvois avoir par vostre moyen Vita Stephanorum avec le catalogue des livres qu’ils ont imprimez [6]. Je vous envoirois bien des choses curieuses de ce pays : mais je crains qu’on ne le trouve mauvais. De temps en temps je pourrai vous en faire part particulierem[en]t de ce qui ne viendra pas de la Societé Royale. Je rendrai l’argent que vous aurez deboursé pour moy à Mr Maurice [7]. Il faut que vous ayez une description des plantes les plus curieuses qui sont dans le Jardin de Mr Beverning [8] et celuy de Mr Wolph en Northollande [9][.] Il me semble qu’il y a à Leyde un professeur qui est payé pour faire des experiences et qui a un beau laboratoire qui est destiné pour cela [10] : il m’est venu voir quelque fois à Paris. V[ou]s ferez bien d’avoir correspondance avec luy. Vous pouvez estre assuré que je ferai tout ce que je pourrai et ce que je dois pour vous servir. Je suis avec estime, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur

 
Justel

A Monsieur/ Monsieur Bayle professeur/ en philosophie/ à Rotredam

 

Notes :

[1Justel ne nomme pas ce traducteur, que nous ne saurions identifier. Il s’agit sans doute d’un huguenot réfugié à Londres.

[2Robert Boyle (1626-1691), un des fondateurs de la science expérimentale en Angleterre, tout particulièrement dans le domaine de la chimie, membre éminent de la Royal Society, auteur, en particulier, de New Experiments physico-Mechanical (Oxford 1660, 8°) et de The Sceptical Chymist (London 1661, 8°). Voir L.T. More, The Life and works of Robert Boyle (Oxford 1944) ; M. Boas Hall, Robert Boyle... ; R. Pilkington, Robert Boyle : father of chemistry (London 1959).

[3Sur Frémont d’Ablancourt, voir Lettres 247, n.6, et 294.

[5C’est-à-dire, L’Esprit de M. Arnaud de Jurieu : voir Lettre 238, n.15.

[6Theodore Jansson van Almeloveen, De Vitis Stephanorum, celebrium typographorum, dissertatio epistolica (Amsterdam 1683, 8°). Sur cet érudit, correspondant et ami de Bayle, professeur en histoire, en grec et en éloquence à l’Université de Harderwijk, voir S. Stegeman, Patronage en dienstverlening. Het netwerk van Theodorus Janssonius van Almeloveen (Nijmegen 1996), et son article : « La bibliothèque de Theodorus Janssonius van Almeloveen (1675-1712) : une mine d’informations pour le Dictionnaire de Pierre Bayle », in Le « Dictionnaire historique et critique » de Pierre Bayle (1647-1706) (Amsterdam, Maarssen 1998), p.125-140.

[7Sur cet ami de Justel, voir Lettre 292, n.2.

[8Sur le jardin de Beverningk, voir Lettre 243, n.10.

[9Nous n’avons pu identifier ce M. Wolph (ou Wolff) ni localiser son jardin.

[10On assiste à cette époque, grâce au triomphe de la conception mécaniste de l’univers, à l’épanouissement de la vie scientifique aux Pays-Bas, sous l’impulsion des frères Snellius et de Simon Stevin et sous la conduite de Huygens, de Swammerdam et de Leeuwenhoek, en attendant Hartsoeker, Boerhaave, ’s Gravesande et Musschenbroek. Justel fait très probablement allusion à Burchardus de Volder (1643-1709), qui avait introduit à l’Université de Leyde l’expérimentation dans le domaine de la physique et qui y avait fondé le theatrum physicum (1675) ; avec Heidanus et Wittichius, il défendait la conception cartésienne-cocceïenne de l’univers contre les attaques des théologiens voëtiens de Leyde, conduites par Frédéric Spanheim le fils et Johannes Hoornbeeck. Voir J.I. Israel, The Dutch Republic. Its rise, greatness and fall (1477-1806) (Oxford 1995), p.898 ; H.J. Cook, « The new philosophy in the Low Countries », in The Scientific Revolution in national context, dir. R. Porter et M. Teich (Cambridge 1992), p.115-149 ; W. van Bunge, From Stevin to Spinoza. An essay on philosophy in the 17th century Dutch Republic (Leiden 2001) ; Th.H. Lunsingh Scheurleer et G.H.M. Posthumus Meyjes (dir.), Leiden University in the 17th century : an exchange of learning (Leiden 1975) ; C. Berkvens-Stevelinck, Geschiedenis van de Leidse Universiteitsbibliotheek, 1575-2000 (Leiden 2001).

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