Lettre 35 : Pierre Bayle à Jeanne Bayle

[Coppet, le 30 juillet 1673]
Mademoiselle et t[rès] h[onorée] m[ère],

Je ne vous ecris que fort rarement, encore que je pense sans cesse à vous. C’est que j’ay une si grande confiance en la tendresse de votre amitié que je m’asseure que vous me la conserverez constamment, quelque peu souvent que je vous asseure de mon respect et de mon obeissance. Je m’estimerois le plus malheureux de tous les hommes si vous donniez une sinistre interpretation à la rareté de mes lettres, car comme je ne cede à personne en ardeur d’amitié et de respect pour votre personne, je souhaitte aussi que vous demeuriez persuadée que je suis en cette juste et legitime disposition à votre egard. Je fais mille vœux pour votre santé priant Dieu de vous fortifier de plus en plus et de vous combler de ses plus precieuses benedictions spirituelles et temporelles, couronnant votre pieté de l’effet des promesses de la vie presente et de celle qui est à venir, lesquelles elle a selon le temoignage de l’Ecriture [1]. Je suis avec un tres profond respect v[ot]re plus humb[le] et obeissant serviteur etc.

 

psJe crains qu’au depart de celuy qui se charge de cette lettre le portrait que vous desirez ne soit pas seché, sans quoi il seroit inutile de l’envoyer, puis qu’il s’effaceroit entierem[en]t [2]. Si cela est je le renvoiray à la p[remi]ere bonne occasion. Je vous demande au nom de votre tendre affection, un peu d’empressem[en]t pour me faire toucher la somme que je demande [3]. Je sai que vos soins valent beaucoup et j’ay eprouvé leur efficace* assez de fois pour en etre bien seur. Je me remets aussi sur vous de tous les baisemains qu’il conviendra faire à tous ceux qui seront de la qualité requise.

le dimanche 30 juillet 1673

 

psJ’avois promis quelques nouvelles du siege de Mastrich [4] mais ayant consideré que cette prise est deja vieille, je ne tiens pas ma parolle.

Notes :

[1Allusion à I Tm iv.8.

[2La mère de Bayle lui demandait naïvement de lui envoyer un portrait, sans se rendre compte que les maigres ressources de l’étudiant lui rendaient difficile de satisfaire un tel désir. Selon la Lettre 95, Pierre entreprit cependant de se faire peindre pendant son séjour à Coppet, mais ce portrait initial ne fut apparemment qu’à demi esquissé. Plus tard, à Rouen, le peintre Louis Elle-Ferdinand le fils se chargea de finir le portrait commencé par un autre. Ce portrait sera expédié de Paris le 15 avril 1675, mais il n’atteindra Le Carla qu’après la mort de Jeanne Bayle : voir Lettre 91.

[3Sur la somme demandée par Bayle, voir Lettre 36, p.208.

[4Maastricht tomba le 30 juin 1673 : voir Gazette, extraordinaire n o 82 du 4 juillet 1673, et extraordinaire n o 83 du 6 juillet 1673.

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