[La Haye, le 14 février 1686]

A Pierre Bayle

Si j’ai tellement tardé à répondre à votre lettre [1], c’est Witsen, bourgmestre d’Etat à Amsterdam qui en est cause [2]. Comme c’est à lui que j’ai écrit la lettre que vous avez insérée dans vos Nouvelles, et comme sans son accord je ne pouvais approuver ce qu’on demandait au nom de Thévenot [3], j’ai dû attendre l’avis de l’homme illustre. Nous sommes d’accord, enfin, Witsen et moi, pour que nos noms soient publiés. J’ai connu Thévenot à Paris par les entretiens familiers que j’ai eus avec lui et par ses livres ; jeune encore, j’ai reconnu que c’était un homme possédé d’une remarquable passion pour la géographie et les voyages. J’aimerais que vous lui fassiez savoir que je n’ai rien inséré dans ma lettre que je n’aie vu dans la carte en question et dans l’explication qui en est donnée. Witsen m’assure qu’il s’occupe en ce moment même de l’ouvrage et que la carte géographique de la Tartarie ainsi que l’explication par ordre alphabétique des villes, fleuves, montagnes et lieux, rédigée dans la langue du pays, seront publiées cette année même [4]. Quant à M. de Flotmanville, que vous me recommandez, je voudrais bien, mais je crois que les Zutphéniens vont l’inviter à les joindre [5]. C’est certainement un homme érudit, et vous me feriez grand plaisir en m’informant si c’est lui qui a écrit la lettre où nous apprenons que l’opuscule publié par Arnold n’est pas d’Athanase [6]. Je travaille maintenant sur Harpocrate [7] et sur diverses antiquités ; j’attends l’arrivée de Bomius, imprimeur d’Amsterdam [8], pour discuter avec lui de l’édition. Adieu.

La Haye, 14 février, 1686.

Notes :

[1Kuiper répond ici à la lettre de Bayle du 31 janvier 1686 (Lettre 506), où il demandait au savant la permission de donner à Melchisédec Thévenot le nom de Nicolaas Witsen comme étant l’auteur de la « carte de Tartarie » et celui de Kuiper comme étant l’auteur de l’éloge de cette même carte publié dans les NRL, octobre 1684, art. VI.

[2Sur Nicolaes Witsen (1641-1717), maire d’Amsterdam, savant, collectionneur, diplomate, voir Lettre 506, n.2, et E. Jorink, « Het Boeck der Nature ». Nederlandse geleerden en de wonderen van Gods schepping, 1575-1715 (Leiden 2006), p.338-348, et, sur sa fortune (estimée près d’un million de florins : il était l’un des hommes les plus riches de son époque) : K. Zandvliet, De 250 rijksten van de Gouden Eeuw (Amsterdam 2006), p.39-41. Voir aussi les travaux de M. Peters, « Nicolaes Witsen and Gijsbert Cuper : two seventeenth-century Dutch burgomasters and their Gordian knot », Lias 16 (1989), p.111-150 ; « From the study of Nicolaes Witsen (1641-1717). His life with books and manuscripts », Lias 21 (1994), p.1-47 ; et « Nepotisme, patronage en boekopdrachten bij Nicolaes Witsen (1641-1717), burgemeester van Amsterdam », Lias 25 (1998), p.83-134.

[3C’est Melchisédec Thévenot qui demandait le nom de l’auteur de la « carte de Tartarie » ; sa demande avait été relayée par Johan de Witt dans sa lettre du 25 janvier 1686 (Lettre 504) ; voir aussi Lettre 506, n.1.

[4Voir NRL, octobre 1684, art. VI, et Lettre 506, n.2.

[5Dans sa lettre du 27 janvier 1686 (Lettre 505) adressée à Kuiper, Bayle avait recommandé Samuel Basnage de Flottemanville pour un pastorat à Deventer : voir Lettre 505, n.1. Par la suite, il devait, en effet, succéder à son père comme pasteur à Zutphen.

[6Voir Andreas Arnold, S. Athanasii Archiep. Alex. Syntagma doctrinae ad clericos et laicos : Valentiniani et Marciani Impp. Epistolae duae ad Leonem : M. Theodori Abucarae Tractatus de unione et incarnatione (Lutetiae Parisiorum 1685, 8°), compte rendu NRL, juin 1685, Catalogue, art. III. La lettre de « Hot(te)manville » est de la main de Jacques Basnage : voir Lettre 450, et NRL, juillet 1685, art. IV. A cet écrit qui conteste son attribution du Syntagma doctrinae à Athanase, Arnold répliqua par une lettre à Bayle, NRL, mars 1686, art. II (Lettre 498). Bayle félicita Arnold de la courtoisie avec laquelle il avait conduit son débat avec Basnage et déclara la discussion close. Mais Basnage revint à la charge en incluant une dissertation de 44 pages sur le Syntagma, datée 30 octobre 1686, dans un recueil d’opuscules intitulé Divi Chrysostomi Epistola ad Cæsarium, monachum […] : cui adiunctæ sunt tres epistolicæ dissertationes. I. De Apollinaris hæresi. II. De variis Athanasio suppositiis operibus. III. Adversus Simonium (Roterodami 1687, 8°). La dissertation de Basnage est précédée de sa traduction latine de la Lettre 498.
L’histoire littéraire du Syntagma doctrinæ a été élucidée par P. Batiffol, dans son long article « Le Syntagma Doctrinæ, dit de Saint Athanase », in Studia Patristica, Etudes d’ancienne littérature chrétienne, 2 e fasc. (1889), p.119-150). Batiffol conclut que le Syntagma Doctrinæ est sorti de la Didaché des douze apôtres. « Rédigé d’abord (vers la fin du III e siècle) à l’usage des membres d’une communauté chrétienne sans distinction, il a été adapté plus tard […] à l’usage plus restreint des Continentes ou ascètes […] sous cette seconde forme il s’est augmenté d’un symbole de foi d’accord avec les formules contemporaines de saint Epiphane et de bien peu antérieures au concile de 381. » Pour Batiffol, il est évident que le style du Syntagma ne ressemble nullement à celui de saint Athanase.

[8Il s’agit sans doute d’un membre de la famille Boom, dont plusieurs membres furent imprimeurs à Amsterdam : parmi ceux-ci on trouve Hendrick Boom (1656-1703), qui collabora avec la veuve de son frère, s’inscrivant « de weduwe Boom » ou « de weduwe Dirk Boom ».

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261843

Institut Cl. Logeon