Lettre 572 : Pierre Bayle à Robert Boyle
Monsieur
Je suis tout à fait inexcusable de n’avoir pas eu encore l’honneur de vous ecrire apres tant de marques que j’ai recues de votre genereuse bonté [1]. Vous m’avez fait present d’un de vos livres sur les eaux minerales d’Angleterre [2] dont j’ai eu le malheur de ne pouvoir profiter à cause que je n’entens pas l’anglois et que nous n’avons dans cette ville aucun traducteur capable de bien rendre les expressions philosophiques. Mr de Coningheme [3] m’a aporté un autre present de votre part savoir un phosphore [4] et m’a asseuré de votre precieuse / amitié et cependant Monsieur je demeure jusques à ce jourdhui dans le silence : j’avouë que c’est se rendre tres criminel d’ingratitude mais j’espere que votre bonté viendra à mon secours quand vous saurez Monsieur que je n’ai pas laissé d’avoir dans l’ame et de le dire dans toutes renco[n]tres les sentimens de la plus haute veneration pour votre personne. On ne sait qu’admirer le plus en vous Monsieur ou la profonde connoissance de la nature ou la piété singuliere ou la generosité ; la douceur l’humilité ; tout cela fait un assemblage de merite qu’on ne trouve presque qu’en vous ; presque partout ailleurs il est dispersé les uns en possedant une partie les autres l’autre. Il m’est bien doux qu’etant tel vous daigniez jetter les yeux sur moi et m’honorer de votre amitié et de votre consideration. Je ferai / tout mon possible pour en meriter la continuation par une parfaite reconnoissance et par un respect continuel comme aussi pour profiter des belles lumieres que vous repandez comme un soleil par tout le monde. Dieu veuille vous faire la grace Monsieur de le faire long tems. Votre tres-illustre Societé m’a honoré d’une marque de son affection en m’envoiant le beau present du livre De Piscibus qu’elle a fait imprimer à Oxford ce qui a eté accompagné d’une lettre des plus obligeantes de Monsieur le secretaire [5]. Je me suis donné l’honneur d’y repondre [6] et de temoigner le mieux que j’ai pu ma reconnoissance et mon profond respect mais aidez moi je vous en prie à temoigner tout cela à votre tres illustre Societé royale. Ce sera une nouvelle obligation que je vous aurai avec tant / d’autres qui m’engagent à etre toute ma vie Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
à Rotterdam ce 6. de juin 1686
J’ai veu[] avec l’impatience de voir tout l’ouvrage traduit[] les titres de votre projet sur l’air [7]. Cela sera beau et digne des autres ouvrages dont vous avez enrichi le public
Notes :
[1] Les lettres échangées entre Robert Boyle et Bayle avant la date de la présente lettre sont perdues.
[2] Robert Boyle Short memoirs for the natural experimental history of mineral waters (London 1684-1685 8°) : voir Lettre 420 n.2.
[3] Sur Alexandre Cunningham et d’autres Ecossais portant ce patronyme voir Lettres 481 n.6 et 566 p..
[5] Avec sa lettre du 25 mai 1686 Sir John Hoskyns secrétaire de la Société royale avait envoyé à Bayle l’ouvrage de Francis Willoughby publié par John Ray De piscibus : voir Lettre 562 n.3. Bayle donne le compte rendu de cet ouvrage dans les NRL juin 1686 art. IX.
[6] La réponse de Bayle à la lettre de Sir John Hoskyns est perdue.
[7] Voir Robert Boyle New experiments physico-mechanical : to[u]ching the air 3rd ed. Whereunto is added A defence of the author’s explication of the experiments against the objections of Franciscus Linus [alias Hall] and Thomas Hobbs (London Oxford 1682 4°) et An essay of the great effects of even languid and unheeded motion. Whereunto is annexed an experimental discourse of some little observed causes of the insalubrity and salubrity of the air and its effects (London Oxford 1685 8°).