Lettre 573 : Dethlev Cluver à Pierre Bayle

A Londres le 7 de juin 1686

Monsieur

Il s’estoit repandu icy un bruit que vos Nouvelles estoient aneanties ou pour le moins qu’on ne pouvoit pas les debiter d’avantage à cause que votre plume avoit si extréme[me]nt noircy la croisade dragonne [1]. Mais • voicy le contraire le libraire enfin a fait venir le mois d’avril qui montre qu’elles marchent toujours avec un egal deportement*. Pourtant j’ay cru necessaire de vous advertir de ne railler pas trop ces apótres avec de[s] arquebuses parceque ils tireront encore sur vous et le feu qu’on a allumé icy pour bruler par main de bourreau Les Plaintes des protestants en France vous pourra servir de preuve pour cela [2] : ainsi on menace qu’à l’instance de l’ambassadeur on fera bientost un semblable procés aux autres. Mais peut-estre vous ne vous souciez pas trop d’etre brulé[ ;] pourveu que les eaux et les marais d’Hollande vous donnent de sureté c’est en quoy la grandeur de votre courage • est appuyée.

Mais pour vous dire encore quelque chose de ce papier touchant la dimension geometrique de l’infiny que j’avois promi[s] de vous envoyer il y a long temps [3] je vous demande à cette heure de quell[e] grandeur ou etendue vous voulez que je fasse ce discours et si un[e] douz[aine] des pages • correspondra à votre dessein ou si vous voulez que je la re[sserre] d’avantage ainsi je voudrois sçavoir si vous avez le loisir d’inserer la description dans le mois [de] juillet parceque tout est prest pour vous donner la maniere de ces comp[utations] que tout le monde croid impossibles il y a quelques figures jointes à ce di[scours] et j’espere que votre libraire ne fera point de difficulté de les faire • graver[.] • Je vous prie aussi de me dire si M.  Du Bois  [4] qui s’en alloit en Hollande il y [a] quelques semaines vous a fait tenir le[s] 5 florins ; en attendant quelques lignes de votre reponce je reste Monsieur votre serviteur tres humble
Dethlef Clüver

A Monsieur/ Monsieur Bayle professeur en philosophie/ et en histoire/ a/ Rotterdam •

Notes :

[1Cette rumeur sur la suppression ou sur l’interdiction efficace des NRL en France a pu être déclenchée par l’annonce dans les NRL mars 1686 cat. iii de l’ouvrage anonyme de Bayle lui-même Ce que c’est que la France toute catholique sous le regne de Louis le Grand (Saint-Omer 1686 12°) ; il y soulignait en effet la violence de la répression exercée contre les huguenots : « L’une des questions est pour savoir s’il est vrai que les écrivains de France se trouvent dans un extrême embarras ne sachant s’ils continueront de nier les violences ; ce qui leur a déjà fait tomber une horrible grêle sur le dos ; ou s’ils les avouëront en ajoutant que ce n’est pas aux hérétiques à toucher la corde des violences ; qu’on se souvient assez des leurs et en tout cas qu’on n’auroit usé que de représailles. L’auteur les exhorte à prendre ce parti-là et convenir d’abord du fait après cela viendront les disputes sur les représailles. Il promet la publication d’un Commentaire philosophique composé en anglois par un savant presbyterien sur ces mots de la parabole contrain-les d’entrer qui montrera d’une maniere invincible la nécessité de la tolerance et qui mettra en pieces toutes les raisons de saint Augustin. » Rappelons que le titre de ce pamphlet magistral de Bayle s’inspire de l’ouvrage de Jean Gautereau La France toute catholique sous le regne de Louis le Grand ou Entretiens de quelques protestans françois qui après avoir reconnu que leur secte est impie et pernicieuse à l’Etat prennent la belle résolution d’en hâter la ruine si heureusement entreprise par le Roi (Lyon 1685 12° 3 vol.) dont un compte rendu détaillé avait paru dans le JS du 18 février 1686.

[2Dans le JS du 24 juin 1686 (p. 184-185) l’abbé de La Roque rendant compte de la Réponse aux plaintes des protestants de Brueys ne manquait pas de se féliciter de la sévérité de la justice anglaise qui avait effectivement condamné les Plaintes des protestants de Jean Claude à être brûlées par la main du bourreau et d’en exploiter l’avantage : « La manière dont on a reçu en Angleterre les Plaintes des protestants en faisant brûler par la main du bourreau le livre qui les contient fait assez voir combien on y est persuadé de leur injustice. On ne les traite pas si rudement en France. On répond à leurs calomnies par la vérité des faits et aux méchants raisonnements qu’ils font par la droiture et la solidité des raisons les plus fortes. C’est là le caractère de cet ouvrage de M. Brueys. Il leur fait voir la justice de la différente conduite que l’Eglise a tenue autrefois avec les païens et de celle qu’elle tient aujourd’huy avec les hérétiques. Il sape la prétendue inviolabilité des édits. Il montre que ce qu’ils appellent persécutions ne doit et ne peut être considéré justement que comme des châtiments et des corrections salutaires ; et il leur prouve par des faits certains et incontestables qu’au contraire les moyens qu’ils emploient eux-mêmes pour maintenir leur secte sont injustes violents et contraires aux lois de la société et du christianisme. » Bayle rend compte de l’ouvrage de Jean Claude dans les NRL mai 1686 art. IV ; il annonce celui de Brueys dans les NRL juin 1686 cat. v et en donne un compte rendu très critique au mois d’août 1686 art. I.

[3Sur ce projet annoncé de longue date par Cluver et jamais réalisé voir Lettre 432 n.1.

[4Ce Du Bois est difficile à identifier car c’est un nom très commun à cette époque à Rotterdam. Il se peut qu’il s’agisse du peintre Simon Du Bois (DuBois) : voir Lettres 479 n.2 et 533 n.12. Il y avait à Rotterdam également une famille de régents appelés Du Bois : Franco Du Bois (1636-1707) fut élu plusieurs fois maire à partir de 1680.

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