Lettre 662 : H. J. Nuys à Pierre Bayle

[Zwolle, le 18 novembre 1686]

[Objections contre la machine de M. Papin à élever l’eau [1].] La raison qui me fait douter du succès de cette machine est en partie l’inégalité des tuyaux CD. CD. FF. FF. (voyez la fig. pag. 577) et en partie la grande quantité d’air qui est contenuë dans ces tuyaux et dans les reservoirs AB. AB. et sa facilité à se condenser et à se rarefier. L’inégalité des tuyaux fera que l’air se rarefiera plutôt dans les reservoirs inferieurs AB. que dans les superieurs, et qu’ainsi il montera plus d’eau par les tuyaux d’enbas NO. PQ. que par ceux d’enhaut ; et cela étant, la quantité d’air diminuera à proportion dans les tuyaux d’enbas, et augmentera dans ceux d’enhaut, et par ce moyen la rarefaction de l’air deviendra encore plus grande dans les tuyaux d’enbas, et plus petite dans ceux d’enhaut dans l’operation suivante, de sorte qu’enfin les réservoirs inferieurs, et les tuyaux mêmes d’enbas se rempliront d’eau, et l’effet de la machine cessera. Si pour remedier à ces inconveniens, l’on faisoit les tuyaux d’en haut plus étroits que ceux d’enbas, en sorte qu’il y eût en tous la même quantité d’air, on rendroit, ce me semble, la chose plus difficile, parce que l’air ne passe pas aussi aisément par des tuyaux étroits que par des tuyaux larges ; c’est pourquoi il faudroit ôter la difficulté en recourbant de telle sorte les tuyaux d’enbas, qu’ils fussent tous de la même longueur et largeur, mais par là on augmenteroit un peu la quantité d’air, et on rendroit plus grande la difficulté qui suit, et qui consiste dans la quantité d’air. Car encore que ces tuyaux puissent être très-petits, comme nous l’assûre l’ingenieux M. Papin, néanmoins ils contiendroient une considerable quantité d’air, si la machine ou les pompes HI. étoient un peu éloignées du lieu où il faudroit élever l’eau. Pour mieux expliquer ce que je pense, je suppose / qu’il faille élever l’eau à la hauteur de 72 pieds par 6 tuyaux qui ayent chacun 12 pieds, et que le lieu soit éloigné de la riviere ou des pompes de 12000 pieds, et que la capacité des tuyaux CD. et FF. soit la 9 e partie d’un pouce quarré ; puis donc que l’air doit sortir tout à la fois de trois de ces tuyaux par un autre DD. ou FF, il faut que la capacité de celui-ci soit égale à celle des 3 autres ; et ainsi la quantité d’air qu’il contiendra dans un pouce de longueur sera la 3 e partie d’un pouce cube et celle de la longueur de 144 pieds sera la 3 e partie d’un pied cubique, et celle qui est dans un tuyau de 1000 pieds égalera 27 pieds cubes, ausquels si vous ajoutez l’air contenu dans les 3 reservoirs A. B. qui fera pour le moins un pied, il faudra rarefier 28 pieds d’air. Si présentement nous supposons que la pesanteur de l’eau contenuë dans les 3 tuyaux NO, extenuë tellement l’air qu’il occupe 4 fois plus d’espace qu’auparavant, il s’ensuivra que la pompe HH, ou II. doit contenir 84 pieds d’air rarefié, avant qu’elle puisse élever l’eau ; d’où l’on peut facilement recueillir quelles pompes il faudroit, si la distance de la riviere étoit de 3 ou de 4 mille toises, ou même plus grande, comme entre la riviere de Seine et Versailles, qui est l’exemple que M. Papin a proposé. Or quoi que je n’aye pas eu encore le loisir de travailler aux experiences que je veux faire, pour trouver quel poids demande la rarefaction de l’air, je croi que les experiences de M. Boyle nous conduisent à supposer, que le poids de l’eau que je marque doit attenuër l’air encore plus que je ne dis. Je ne dirai rien sur la peine que trouveront les ouvriers à rendre parfaitement de même capacité les tuyaux DD. FF, et les pompes H. I. et si on ne fait pas cela, l’une des pompes élevera toûjours plus d’eau que l’autre ; si bien qu’enfin les tuyaux mêmes se rempliront d’eau. Je ne dis pas non plus que la differente densité de l’air élevera plus d’eau dans une saison que dans une autre, mais j’ajoûte ceci que l’eau ne pouvant monter par la rarefaction de l’air dans un tuyau qu’environ à la hauteur de 32 pieds, on ne voit pas la raison pourquoi elle monteroit plus haut par des tuyaux differens, en vertu de la rarefaction de l’air qui ne seroit contenu que dans un tuïau. Ce que M. Papin observe que les tuïaux DD. FF. ne se romproient pas aisement, puis qu’ils contiendroient un air rarefié, qui seroit cause que l’air externe les comprimeroit, est fort véritable ; mais il naît de là un autre inconvenient, c’est que s’il s’y faisoit quelque fente, comme cela est possible, on ne la sauroit trouver qu’en détachant de sa place tout le tuyau, car on n’auroit pas la commodité de la découvrir par la liqueur qui en sortiroit, comme lors qu’il se fait quelque fente dans les tuyaux remplis d’eau. Voilà une grande marque de la diversité des esprits. L’inventeur d’une machine découvre cent difficultez, et y aporte du remede avant que la produire au grand jour : mais souvent il ne songe pas à certaines choses qui se présentent à d’autres dès la premiere vuë : ou s’il s’en avise, il n’y voit aucune difficulté considerable. Quoi qu’il en soit, nous ne voyons gueres que les machines se perfectionnent qu’après avoir été retouchées selon les differens avis de ceux qui les ont voulu critiquer. Nous verrons si ce mémoire engagera M. Papin à nous donner quelques bons éclaircissemens. Les objections qu’il a proposées contre la nouvelle machine du mouvement perpetuel, ne demeureront pas sans replique, car l’auteur de cette invention nous a écrit une lettre, où il prétend lever toute la difficulté qui a paru dans notre journal de septembre. Voici sa réponse [2].

Notes :

[1H.J. Nuys, avocat de Zwolle et auteur d’un ouvrage de mathématique publié en cette ville en 1686 (van der Aa, xiii.344), répond au dernier d’une série d’articles de Denis Papin publiés dans les NRL : mai 1685, art. X : « The description of a siphon performing the same things with the sipho Wirtembergicus, invented by Doctor Papin, Fellow of the Royal Society. C’est-à-dire, Description d’un siphon qui produit les mêmes effets que celui de Wirtemberg, inventé par le Docteur Papin, de la Societé royale. Extrait du journal d’Angleterre n. 167, page 847 » ; août 1685, art. VIII : « Extrait des Transactions philosophiques, ou du journal d’Angleterre du mois de juin dernier, contenant un écrit présenté dans une assemblée de la Societé roïale de Londres, par M. Papin, touchant une nouvelle maniere d’élever les eaux » ; et mai 1686, art. VIII, « Extrait du journal d’Angleterre du mois de décembre 1685 contenant la description et les usages d’une nouvelle manière d’élever les eaux, proposée dans les Transactions philosophiques, num. 173 par D[enis] Papin, membre de la Société royale. »

[2Voir la réponse anonyme (Lettre 663), publiée dans les NRL, décembre 1686, art. II, à la suite de la présente lettre de Nuys.

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