Lettre 663 : Anonyme à Pierre Bayle

[Paris, le 20 novembre 1686]

[Réponse à ces objections [1].] J’avois déja marqué dans le Journal des sçavans, et dans la lettre que j’eus l’honneur de vous écrire il y a quelques mois, qu’il étoit indifferent pour la solution du problême, que le mercure renfermé dans le soufflet de 40 pouces, lors qu’il est vertical, soit plus fort ou plus foible que l’air exterieur. [Voyez fig. 540.] Car s’il est plus fort, on mettra la base du soufflet en haut, le tube de 22 pouces à la base ; et le soufflet venant à se dilater par la force de son mercure, l’air exterieur poussera le mercure du vase à travers du tube de 22 pieds dans le haut du soufflet, en plus grande quantité que celui du soufflet n’est descendu au dessus du vase à pareille distances ; ce qui est le principe du mouvement perpetuel. S’il est plus foible, on mettra la base du soufflet en bas et le tube à la pointe : alors l’air exterieur comprimera le soufflet, et le vuidera dans le vase par le tube, en telle sorte que le mercure montera de la base en plus grande quantité qu’il ne descendra de la pointe à pareille distance ; ce qui est encore le principe du mouvement perpétuel. Cette alternative prouve généralement, contre tous ceux qui ont prétendu que le mercure renfermé dans le soufflet de 40 pouces n’a pas tant de force pour dilater que l’air exterieur en a pour le comprimer, et toutes les raisons qu’ils ont apportées jusqu’à présent, pour détruire la premiere disposition de cette machine, servent à établir la seconde, et à demontrer le mouvement perpetuel qu’ils veulent combattre. Mr Papin ne faisant pas de réflexion à cette premiere partie de la réponse que je lui ay faite, s’est attaché seulement à prouver que le mercure du soufflet doit être plus foible que l’air exterieur, et que le soufflet doit se comprimer, lors qu’il est vertical... L’air exterieur, dit-il, comprime le soufflet avec plus de force que le mercure ne le dilate. Car si le mercure agit contre le bas du soufflet avec la force de 40. pouces, il n’agit vers le 30 e pouce de sa hauteur qu’avec la force le 30 pouces, vers le 20 e pouce avec celle de 20 pouces, vers le 10 e avec celle de 10 pouces, et ainsi en diminuant toûjours, suivant la progression arithmetique ; de sorte que toute la pression du mercure reduite à l’égalité n’est égale qu’à la pression d’une colonne uniforme de 20 pouces de mercure. Ainsi cette force de 20 pouces étant jointe à la force de 5 pouces de mercure, avec laquelle l’air agit à travers du tube de 22 pouces pour dilater le soufflet, toute la force qui tend à dilater le soufflet ne sera que de 25 pouces de mercure : au contraire celle avec laquelle l’air exterieur comprime le soufflet, est par tout égale à 27 pouces de mercure... Par conséquent le soufflet de 40 pouces étant vertical se comprimera et se vuidera. Quand tout ce raisonnement seroit véritable, que pourroit-on en conclure, que la nécessite de / mettre en bas la base du soufflet, et la pointe en haut et le tube à la pointe, comme j’ay déja dit ? Néanmoins pour répondre à cette nouvelle instance, on peut se dispenser de ce changement, en allongeant un peu le souf[f]let, ou en accourcisssant le tube. Si le tube n’a que 15 pouces de longueur, il est manifeste que l’air exterieur agira par ce tube pour dilater le souf[f]let, avec une force de 12 pouces de mercure, puisqu’il a en tout la force de soûtenir 27 pouces de mercure et qu’il n’en soûtient que 15. Cette force de 12 pouces de mercure ajoûtée aux 20 pouces de mercure, que M. Papin trouve déja dans le souf[f]let, vaut justement 32 pouces de mercure, l’air exterieur qui comprime le souf[f]let n’en vaut que 27 pouces ; donc la force qui dilate le souf[f]let sera considerablement plus grande que celle qui le comprime. Si l’on donne au souf[f]let 54 pouces de longueur, son mercure aura une force égale à 27 pouces uniformes de mercure, comme celui du souf[f]let de 40 pouces étoit égales à 20 pouces de mercure, et cette force de 27 pouces jointe à celle de 5 pouces de mercure, avec laquelle l’air exterieur agit par le tube de 22 pouces pour dilater le souf[f]let, on aura en tout une force de 32 pouces plus que suffisante pour dilater le soufflet. Or je puis allonger ainsi le souf[f]let ou accourcir le tube, puis que le centre de gravité du souf[f]let fait en pyramide sera encore plusieurs pouces au dessus de l’essieu qui sera toûjours vers l’extrêmité du tube : il est facile de le démontrer. Mais les experiences des liqueurs mises dans un souf[f]let plongé dans l’eau jusqu’à la base, ou attaché au bout d’un tube pour l’enfoncer davantage, ne me permettent pas de faire ces petits changemens à cette machine, ni d’accorder à M. Papin son calcul. La liqueur contrepese la liqueur exterieur à peu près comme dans les syphons. Donc le mercure dans un souf[f]let de 40 pouces sera plus fort que l’air exterieur qui ne le soûtient dans les tubes qu’à 27 pouces, et descendra du moins de quelques pouces en écartant davantage les ailes du souf[f]let ; ce qui suffit pour le dessein. Je ne dis rien de la base même, ou de la partie qui ferme le souf[f]let en haut. Car si le mercure ne la pousse point du tout en dehors (comme on le prétend) j’ai des moyens faciles pour empêcher l’air de la pousser en dedans. Ainsi elle ne doit faire aucune difficulté. Ce que j’ai dit que le souf[f]let et le tube faisoient ensemble une nouvelle espece de syphon, dont le souf[f]let est la jambe la plus longue et le tube la plus courte, se peut justifier contre M. Papin par son calcul même. Car puisqu’il trouve dans le souf[f]let une force égale à 20 pouces de mercure, si le tube n’a que 20 pouces de long (car on lui a donné 20 ou 22 pouces indifferemment) sans doute il y aura équilibre entre le tube et le souf[f]let, l’air exterieur soûtenant également ces deux forces de 20 pouces de mercure. Si le tube n’a que 19 ou 18 pouces, le soufflet sera le plus fort, et s’ouvrira, l’air ayant moins d’effort à soûtenir les 18 ou 19 pouces du tube, qu’à soûtenir les 20 pouces du soufflet ; ce qui fait, ce me semble, toute la force et l’action du syphon, dont la jambe la plus courte est plus facilement soûtenue et poussée par l’air exterieur que la plus longue. Mais pour déterminer au vrai les qualitez de ce nouveau syphon, il faut plus d’experience encore. Pour les autres mouvemens de cette machine, l’experience a fait voir qu’il n’y a aucune difficulté, et que dans cette hypothese il n’y a en effet que ce point à examiner. le mercure renfermé dans une pyramide pliante, ou dans un soufflet de 46, 50, 60, pouces sera-t-il plus fort ou plus foible que l’air exterieur, et aura-t-il le même effet, soit que le soufflet ait la base en haut, soit qu’il l’ait en bas ? on ne doit conter la base même pour rien, comme j’ai dit. De là on conclura ou un mouvement perpetuel capable de telle force que l’on voudra, ce qui est sans doute à remarquer, ou plusieurs connoissances nouvelles et fort curieuses.

Notes :

[1Cette lettre anonyme du 20 novembre 1686 adressée de Paris au rédacteur des NRL fait suite à une série d’articles et d’objections publiés dans les NRL sur le mouvement perpétuel : novembre 1685, art. VII, avril 1686, art. VII, et juin 1686, art. V ; voir aussi Lettre 563. Nous ajoutons en appendice les remarques de Denis Papin auxquelles répond l’auteur anonyme de la présente lettre.

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