[Rotterdam, le 30 juillet 1692]

Au très érudit Theodore Jansson van Almeloveen Pierre Bayle fait ses compliments

J’avais déjà lieu de vous remercier très vivement, avant de recevoir les Vies de Leickher et voilà une nouvelle raison de le faire ; j’aurai donc deux murs à blanchir en même temps avec le même pot à chaux. Vous aurez à souffrir, si vous m’aimez, qu’en même temps j’exprime ma gratitude pour l’hospitalité magnifique, joyeuse, très affable avec laquelle vous nous avez reçus il y a peu [1] et pour m’avoir communiqué le livre sur les vies de quelques jurisconsultes imprimé encore une fois par les soins de Leickher [2]. Je vous renverrai ce livre sans retard et je prendrai soin surtout que notre Leers me l’achète, ne pouvant guère me passer d’un tel ouvrage tant que je prépare mon Dictionnaire critique. Je répondrai à tous les points de votre lettre s’il m’est permis d’abord de me plaindre à vous de ce que vous n’avez pas tenu vos promesses : vous aviez promis que vous-même vous seriez présent personnellement quand Leickher nous présenterait son livre. A l’avenir, soyez plus fidèle à vos promesses.

Je n’ai toujours pas reçu de réponse de la part de mon ami quant à savoir s’il y a quelque chose à retrouver dans les feuillets du musée colomésien [3] mais quand j’en recevrai, je vous le ferai savoir.

Je crois que ce serait tout à fait suffisant si, en extrayant des observations du journal d’ Isaac Casaubon et d’ailleurs, vous aviez recours à quelque ami qui offrirait son avis, plutôt que de vous fier aux promesses d’un homme tel que Monsieur Smith [4]. A vrai dire, je ne connais aucun savant à Oxford que j’estime convenable ou suffisant à la bonne exécution de cette tâche et que je pourrais trouver tout de suite, mais si je peux trouver quelqu’un, je saisirai l’occasion avec alacrité.

En ce qui concerne nos pasteurs anglais [5], je ne puis rien vous indiquer de certain dans cette lettre, je n’ai même pas pu leur adresser la parole, mais j’irai les rencontrer au plus tôt. Du reste, par leur obligeance et ayant la passion d’aider les travaux littéraires, je peux me promettre que seront à votre disposition tous les secours qui dépendraient d’eux. Je vous félicite cordialement de la bonne volonté de l’éminent Monsieur Smith. Ce Patritius Junius dont il veut publier les lettres est différent de Franciscus Junius (Franciscus fils) auteur du célèbre traité De la peinture des anciens, et parent de Jean-Gérard Vossius [6]. Les amis compagnons de route vous font leurs compliments, et ensemble avec moi présentent à votre vénérable mère des compliments tout pleins de reconnaissance. L’éminent Monsieur Graevius [7] a séjourné dans cette ville pendant deux ou trois jours, Mayerus [8], cependant, et Muhlius [9] sont partis pour La Haye le même jour qu’ils étaient revenus de Gouda ; ce qu’ils auront fait de ce côté-là depuis ce temps jen n’en sais pas plus que le plus ignorant.

J’écris rarement à Londres ; soit parce que je suis paresseux pour écrire des lettres soit parce que je voudrais récompenser aux amis réfugiés leur frais par transfert, préférant recourir aux commodités occasionnelles qu’offrent les voyageurs qui passent en Angleterre ; mais si vous désiriez recevoir une prompte réponse rien ne me semblerait plus opportun que de recommander aux amis à qui vous écrirez, Smith, par exemple, d’écrire par le coche directement à Gouda ou à moi à Rotterdam en ajoutant à l’adresse la formule « pour faire tenir à Mr Almeloveen à Tergou », adresse qu’ils pourraient rédiger en anglais. Pour ma part, ces lettres étant acceptées, je veillerai à ce qu’elles soient promptement portées dans le coffre des lettres destinées à vous autres Goudois.

Quant à Teissier  [10], voici ce qui me semble préférable. Je vous envoie le billet que j’écris à Wetstein l’imprimeur d’Amsterdam [11] où, comme vous le saurez si vous le lisez, je lui demande de bien vouloir se charger de la lettre jointe adressée à Teissier vivant à Zurich ou Bâle ou Berne. Cette lettre jointe sera en fait celle que vous aurez voulu écrire au dit Tessier, dans laquelle vous montrerez la voie très courte par laquelle vous désirez qu’on vous réponde, et les autres choses quelles qu’elles soient que vous voudrez.

Le même Wetstein enverra sans aucun doute un paquet de livres, si vous désirez en envoyer à Tessier, mais la voie des paquets est très longue, je crois qu’il faudrait envoyer d’abord une lettre pas trop épaisse par le coche. Des parties de votre […] devront être envoyées à Amsterdam à quelque ami qui transmettra à Wetstein ma lettre en même temps que celle que vous écrirez à Teissier. Je vous souhaite une santé d’athlète.

Le 3 des calendes d’août 1692.

 

Récemment je suis tombé sur l’éloge de Jérôme Magius composé par Francis Swertius et Trichet Du Fresne qui se trouve à la tête des livres de Magius – Des Tintinnabulis [ Des cloches] et De Equuleo [ Du chevalet] [12], j’y ai aussi vu bon nombre de livres promis par Magius et pas encore imprimés.Vous avez là de quoi composer un nouvel article pour votre Bibliotheca promissa et latens [13].

 

Myn Heer/ Myn Heer Almeloveen doctor/ en medeciine/ Tot Gouda

Notes :

[1Sur cette visite de Bayle et de ses amis chez Almeloveen, voir Lettre 878. C’était une compagnie savante et éminente, puisque les amis suivants furent présents : Jacques Basnage, Willem de Mey et son père Georgius, Herman Lufneu, Jean Georges Graevius, Jacobus Vallan, Johan de Witt, Heinrich Muhlius et Pierre Bayle. C’est un excellent exemple de la sociabilité savante aux Provinces-Unies à la fin du XVII e siècle.

[2Sur cet ouvrage de Leickher, voir Lettres 872, n.7, et 876, n.8.

[3Sur ce projet de publication des écrits de Paul Colomiès, voir Lettre 876, n.4.

[4Sur le projet d’ Almeloveen de publier les lettres de Franciscus Junius avec la collaboration de Thomas Smith, fellow de Magdalen College à Oxford, voir Lettre 879, n.8.

[5Nous n’avons pas su identifier les « pasteurs anglais » désignés ici par Bayle.

[6Bayle distingue entre François Du Jon le père et François Du Jon le fils, auteur du De pictura veterum (Roterodami 1694, folio) : voir l’édition en fac-similé présentée par C. Nativel (Genève 1996).

[7Jean-Georges Graevius, venu d’Utrecht : voir Lettre 878, n.3.

[8Wilhelm de Mey : voir Lettre 878, n.2.

[9Heinrich Muhlius, professeur à Kiel, ami d’Almeloveen : voir Lettre 878, n.6.

[10Antoine ou Jean-Antoine Teissier : voir Lettre 879, n.9.

[11Henri Wetstein : voir Lettre 285, n.5.

[13Sur cet ouvrage d’ Almeloveen, voir Lettres 843, n.3, et 869, n.6.

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