Lettre 907 : Pierre Bayle à un correspondant anonyme

• [Rotterdam, le] 26 février 1693

Le m[anu]s[crit] apologetique du P[ere] Bouhours [1] m’a paru une piece très delicatement et agréablement touchée, et, ce qui est le principal, decisive en sa faveur.

Supplement à l’histoire des écrivains ecclesiastiques, du docteur Cave [2].

L’impression de mon livre ne commencera que l’eté prochain [3].

M. Oudin, cy-devant de l’ordre de Premontré [4], est à Hambourg depuis quelque tems.

M. de Leibnits fait un recueil trés ample des traittés de paix, mariage, etc. entre les potentata de l’Europe [5]. Il sera plus ample que celui de Léonard [6], et mettra des pieces qu’on n’a osé y mettre.

Notes :

[1Le Père Dominique Bouhours, bien connu par ses ouvrages de grammaire et par ses travaux critiques, eut, à la fin de l’année 1691, « une mésaventure de direction, qui n’était au fond que ridicule et qu’empoisonna la calomnie » : il était lié depuis longtemps avec la chanoinesse de Remiremont, M me de Bourdonné, et rencontra chez elle « une jeune personne d’esprit vif et de façons avenantes », qu’on disait nièce de Vauban. Bouhours devint son directeur et, enthousiasmé par ses progrès dans la spiritualité, l’encourageait à devenir religieuse. Sur ce, on découvrit que la jeune fille était enceinte et elle dut s’éloigner de Paris. Un procureur du Châtelet, également hôte de M me de Bourdonné, étant entré en possession de la correspondance de Bouhours avec cette jeune fille, la fit circuler arrangée à sa façon. On retint particulièrement la formule : « Nos Pères s’en vont aux Indes travailler à la conversion des idolâtres ; pour moi, je me borne au salut de votre âme : vous êtes ma Chine et mon Japon ! » Les nouvellistes se saisirent de l’affaire, les amis de Port-Royal l’évoquaient avec des « airs discrets », des gazettes étrangères l’évoquèrent et on en fit des chansons (voir les Chansonniers manuscrits de Clairambault et de Maurepas pour l’année 1692). Bouhours ne fut sauvé que par l’intervention de Chrétien-François de Lamoignon (1644-1709), qui fut avocat général et qui devint président à mortier au Parlement de Paris en 1690 : il fit venir le procureur en question et lui opposa un démenti formel ; ensuite, il se fit livrer la correspondance incriminée et la fit examiner par des arbitres impartiaux : Bouhours fut innocenté. Cette affaire, ainsi racontée par G. Doncieux, Un jésuite, homme de lettres au dix-septième siècle : le père Bouhours (Paris 1886), p.102-105, fit un bruit considérable. Les jésuites se mirent en branle pour défendre leur confrère et Jean-Antoine Du Cerceau (1670-1730), Claude-François Fraguier (1660-1728), Mme de Dalet (Louise de Rabutin), l’abbé Tribolet firent circuler des poèmes et des fables qui furent publiés par Bouhours dans son Recueil de vers choisis (Paris 1693, 12°) ; voir aussi la correspondance entre M me de Sévigné et Bussy-Rabutin (janvier-avril 1692) et l’ouvrage de Pasquier Quesnel, Le Père Bouhours convaincu de nouveau de ses anciennes impostures, faussetez et calomnies, ou réponse à la troisième et quatrième lettre des jésuites écrites à un seigneur de la Cour, au sujet du péché philosophique (Anvers 1691, 12°), où l’on trouve deux pamphlets de Quesnel et une apologie de Bouhours composée par des membres de la Compagnie de Jésus : c’est certainement une version manuscrite de cette dernière pièce que Bayle commente dans la présente lettre.

[3L’impression du DHC devait commencer en juillet 1693 et s’achever en octobre 1696. Bayle confie à Minutoli le 29 juin 1693 : « On va commencer l’impression de mon Diction[n]aire. Je la hâterai le plus que je pourrai ». Leers devait attendre d’avoir achevé l’impression des deux premiers volumes de l’ Histoire de l’édit de Nantes d’ Elie Benoist avant de commencer celle du DHC. Bayle annonce l’impression de l’article « Accius » dans sa lettre du 13 novembre 1693 (Lettre 953) ; le 29 mai 1694, Furly annonce à Locke : « Leers goes on apace with Monsieur Baile’s Dictionnaire critique » (éd. E.S. de Beer, n°1741) ; le 29 novembre 1694, Bayle déclare à Minutoli : « Mon Diction[n]aire va toujours son petit train ; nous n’avons encore imprimé qu’environ 190 feuilles » (Lettre 1017) ; le 23 février 1696, il écrit au même : « On acheve d’imprimer la lettre M de mon Dictionnaire, c’est les 2 tiers de l’ouvrage » (Lettre 1092).

[4Casimir Oudin (1638-1717), né à Mézières-sur-Meuse, fils d’un tisserand, entra en 1656 dans l’ordre des prémontrés, où il devint professeur de théologie avant d’être chargé de rédiger une histoire littéraire de l’ordre. En 1690, il partit pour les Provinces-Unies et se convertit à Leyde ; il y publia un récit autobiographique de sa conversion sous le titre Le Prémontré défroqué (Leyde 1692, 12°). Il fut attiré à Hambourg par Johann-Friedrich Mayer, professeur de théologie mais, ne se satisfaisant pas des propositions qui lui furent faites, il revint à Leyde, où il devint sous-bibliothécaire de l’université. Il y resta jusqu’à la fin de sa vie, publiant différents travaux d’érudition biblique. Voir D. Boisson, Consciences en liberté ? Itinéraires d’ecclésiastiques convertis au protestantisme (1631-1760) (Paris 2009). Dans sa lettre du 5 mars 1693 (Lettre 911), Bayle fera état de la querelle entre Casimir Oudin et William Cave, qui, dans sa Scriptorum ecclesiasticorum historia litteraria, avait critiqué les travaux d’Oudin. Voir aussi Leibniz à Basnage de Beauval (éd. Gerhardt, iii.106) : « Celuy qui paroist le plus dans le ministere est Mons. Joh. Frid. Mayerus, qui a de l’erudition et de la lecture moderne, et des grands talents dans la predication. Il a attiré M. Oudin à Hambourg, mais je ne sçay quel succès le bon homme y aura eu. Je luy souhaiterois du repos et de la santé pour publier quantité de monumens ecclesiastiques non imprimés », et la réponse de Basnage de Beauval du 15 janvier 1694 : « J’ai connu M. Mayer à Hambourg ; il a un grand credit parmi le peuple. Il me fist l’honneur de me voir lorsqu’il fist l’année derniere un voyage en Hollande. Il emmena avec lui M. Oudin qu’il avoit ebloui par les promesses de quelque etablissement. M. Oudin s’est bien repenti de l’avoir suivi, et il est revenu tres peu satisfait de la maniere dont M. Mayer en a usé. C’est un tres honnête homme que M. Oudin et tres habile sur tout ce qui regarde les monumens medii sæculi. C’est dommage qu’on ne lui assure pas de quoi travailler sans inquietude. M rs de Leyde le font subsister mediocrement, et sans lui fixer aucune pension. » (éd. Gerhardt, iii.109). Voir aussi D. Boisson, Consciences en liberté ? Itinéraires d’ecclésiastiques convertis au protestantisme (Paris 2009), p.42, 254-255.

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