A Pierre Bayle Rotterdam
Dans votre bonté et votre douceur exceptionnelles envers tout le monde et surtout envers moi-même, très préoccupé comme je suis, pardonnez-moi, mon très cher ami, de ne pas être arrivé à temps, non seulement pour vous rejoindre, mais même pour partir avec le coche ; la générosité et l’affabilité du très distingué Denotius [1] m’ont retenu jusqu’à six heures, de sorte qu’à peine ai-je pu prendre le dernier coche pour descendre ; et puis combien je plains maintenant votre infortune, et combien cela me fait de la peine de vous avoir causé tant de gêne par temps de pluie, je ne saurais l’exprimer, pas plus que je saurais exprimer combien mon affection pour vous en sort renforcée, ce dont je garderai le souvenir aussi longtemps que j’aurai raison et esprit. J’effacerai la tache faite sur notre amitié avec des embrassements et des étreintes très forts quand nous nous reverrons.
Que vous n’ayez pas reçu les livres demandés dans votre récente lettre est le résultat de mon absence, de sorte que, étant de retour bientôt après, je vous les fais envoyer ; je vérifierai bon nombre d’entre eux quand cela me sera possible, c’est-à-dire, quand il s’agira de livres m’appartenant. Je m’étonne que Leers n’ait rien ajouté à sa lettre précédente en ce qui concerne le petit catalogue de peintres italiens [2], ni, comme j’aurais voulu, du livre du très docte Smith [3]. J’aimerais que vous lui tiriez l’oreille pour que, s’il ne veut pas ou ne peut pas les imprimer, je puisse les offrir à d’autres imprimeurs, car je crois qu’un auteur ne désire rien d’autre autant que d’être publié au plus tôt, et même déjà quelques mois se sont écoulés depuis celui où je les ai reçus. Ces jours derniers j’ai reçu deux lettres anglaises écrites de la main de Méric Casaubon et éditées par les soins et l’application du très érudit Th. Gale [4] qui a promis d’envoyer plusieurs choses qu’il va acquérir. Je souhaite trouver occasion de lui envoyer un petit paquet ainsi qu’au très distingué Bernard [5] à qui j’espère que Leers a envoyé ma lettre.
Christopher Wase a mis en vers anglais le Cynegeticon de Gratius [Faliscus] en l’éclairant d’un commentaire [6]. Si vous l’avez, je voudrais que vous me l’envoyiez.
Adieu et aimez-moi.
Donnée à Gouda le 16 e jour avant les Calendes de juillet 1694.
Notes :
[1] Nous n’avons su identifier cet ami d’ Almeloveen à Rotterdam.
[2] Il s’agit sans doute d’une allusion à l’ouvrage célèbre de Giorgio Vasari, Le Vite de piu eccellenti pittori e scultori italiani (Florence 1550, 4°), car Bayle y renvoie dans les articles du DHC, « Dürer » et « Erasmus ».
[3] Il s’agit sans doute du livre de Thomas Smith, Septem Asiæ ecclesiarum et Constantinopoleos notitia (Trajecti ad Rhenum 1694, 8°) : voir Lettre 1054, n.1. Sur le projet d’ Almeloveen de publier les lettres de Franciscus Junius avec la collaboration de Thomas Smith, voir Lettres 879, n.8, et 880, n.4.
[4] Il ne semble pas que ces lettres de Méric Casaubon « éditées » – c’est-à-dire, sans doute, annotées – par Thomas Gale aient été publiées à cette date. Almeloveen devait ajouter en appendice à sa grande édition de la correspondance d’ Isaac Casaubon – parue quelques années plus tard – une sélection des lettres de son fils Méric : Isaaci Casauboni epistolæ, insertis in easdem responsionibus, quotquot hactenus reperiri potuerunt, secundum seriem temporis accurate digestæ. Accedunt huic tertiæ editioni præter trecentas ineditas epistolas Isaaci Casauboni vita [...] item Merici Casauboni [...] epistolæ [...] curante Theodoro Janson ab Almeloveen (Roterodami 1709, folio). Nous ne connaissons par ailleurs qu’un ouvrage de Casaubon sous forme de « lettre » : A letter of Meric Casaubon to Peter du Moulin. Of credulity and incredulity in things natural, civil and divine (London 1668, Cambridge 1669, London 1670, 8° ; éd. D.G. Lougee, Delmar 1976, 8°).
[5] Sans doute, Jacques Bernard : sur lui, voir Lettres 102, n.10, 589,n.12, et 863, n.7 et 8.
