[Rotterdam, le 10 décembre 1696]

A l’homme très savant et à son très cher ami Théodore Jansson van Almeloveen, Pierre Bayle donne son salut

J’ai prévu de longues procrastinations de la part de Monsieur Oudinet, qui nous fait attendre les notes de Bergier [1]. C’est pourquoi j’avais averti les imprimeurs de poursuivre de la même façon qu’ils avaient commencé. Je donne le même conseil aujourd’hui. Les hommes du palais, surchargés du poids des affaires, ne peuvent pas se hâter, ni, s’ils le peuvent, toujours le vouloir. Celui dont je parle séjourne accompagné de son entourage, loin des Parisiens, dans le palais prétorien de Fontainebleau pour quelques semaines, ce qui fait son excuse. J’insisterai de toutes mes forces entre temps.

Je ne peux pas facilement me libérer du dégoût et de la peine que je ressens de ne pas avoir pu donner des exemplaires à vous, mon plus grand ami, et à plusieurs autres hommes très chers [2]. Je reconnais votre extrême bienveillance en ce que vous ne me l’imputez pas à crime. En fait le Dictionnaire ne va pas être vraiment réimprimé ; et l’on ne pourra difficilement détacher pour les corriger des exemplaires de la première édition qui coûte si cher. L’occasion ou le fondement de cette rumeur est que puisque l’imprimeur n’avait pas imprimé au début autant d’exemplaires qu’il a cru devoir imprimer en terminant et avait en effet imprimés, il n’avait pas le même nombre de copies pour les premières lettres de l’alphabet que pour les suivantes ; il a eu beaucoup plus de celles-ci que de celles-là, de sorte que, pour que le nombre de copies de toutes des feuilles soit égal, il était nécessaire d’en remettre un certain nombre sous la presse, et comme vous voyez, cela ne revient pas du tout à faire une nouvelle édition [3].

Je viens d’apprendre de Genève que cette M lle Valekirkia dont parle Burnet [4] n’a rien publié et qu’on ne peut que s’en tenir à ce que Burnet a raconté d’elle s’il arrive que quelqu’un ait besoin de renseignements. Mon insuffisant bagage de livres n’inclut pas les petits poèmes publiés chez Plantin [5] que vous me demandez, ni l’édition de Sappho préparée par Anne Lefebvre [6]. Je pourrais vous envoyer, si vous voulez, l’édition par Monsieur de Longepierre de cette même Sappho [7], qui est postérieure à celle de M me Lefebvre. Je ne sais pas chez qui trouver les petits poèmes publiés par Orsini, mais je sais que M. Henri, notre correcteur, [8] a les poèmes de Sappho dans l’édition d’ Anne, fille de Tannegui Lefebvre. Je suis sûr que sa bienveillance est telle que si vous les lui demandez vous ne courrez aucun risque de refus. Ô malheureux que je suis, qui n’arrive pas à vous accommoder en quoi que ce soit, et qui non seulement vous trouve toujours prêt à me rendre service mais aussi un accommodant et utile ami.

Il y a quelques jours, vous avez été mentionné plusieurs fois chez Monsieur de Mey en présence de son père, votre pasteur [9], et comme la conversation est tombée sur les œuvres de Pomponace, il a promis de vous demander si vous aviez l’édition de Bâle [10].

Portez-vous bien et souvenez-vous toujours de moi à qui vous êtes cher.

Donnée à Rotterdam le 4 e jour avant les Ides de décembre 1696

Notes :

[1Sur Oudinet et les notes de Bergier, voir Lettre 1192, n.1. Sur les conseils de Bayle à l’imprimeur – François Halma à Utrecht – du Thesaurus de Grævius, voir Lettre 1173.

[2Bayle s’était excusé de ne pouvoir faire cadeau d’un exemplaire du DHC à Almeloveen : voir Lettre 1192, n.2.

[3Sur la réimpression des lettres A-O du DHC, qui constituait non pas une nouvelle édition mais bien une nouvelle composition de ces articles, intégrant parfois des changements substantiels, voir Lettre 1120, n.6, et notre appendice au volume XIV.

[4Il s’agit certainement de la poétesse de Schaffhouse, Esther Elisabeth de Waldkirch : voir Lettre 1146, n.9. Dans son Voyage de Suisse, d’Italie, et de quelques endroits d’Allemagne et de France, fait és années 1685, et 1686, avec des remarques d’une personne de qualité touchant la Suisse et l’Italie (2 e éd., Rotterdam 1688, 12°), Gilbert Burnet consacre de nombreuses pages à Genève, à Lausanne, à Berne, à Soleure, à Fribourg, à Zurich ; il mentionne Nicolas Fatio de Duillier (p.22), la correspondance de Bullinger (p.94-99), Amyraut et Daillé (p.109-113), mais nous n’avons pas trouvé mention de la poétesse Esther Elisabeth de Waldkirch.

[5Sur le recueil de poèmes de femmes illustres édité par Fulvio Orsini et publié par Plantin, voir Lettre 1192, n.3.

[8M. Henri, correcteur à l’imprimerie de Reinier Leers.

[9Sur Georgius de Mey, pasteur de Gouda, et son fils Willem, juriste et conseiller municipal de Rotterdam, voir Lettre 851, n.5.

[10 Petri Pomponatii philosophi et theologi doctrina et ingenio præstantissimi, Opera. De naturalium effectuum admirandorum causis, seu de incantationibus liber. Item de fato : Libero arbitrio : Prædestinatione : Providentia Dei, libri V. In quibus difficillima capita et quæstiones theologicæ et philosophicæ ex sana orthodox[a]e fidei doctrina explicantur, et multis raris historiis passim illustrantur, per autorem, qui se in omnibus canonicæ scripturæ sanctorumq[ue] doctorum judicio submittit. Cum Cæs. Majestatis gratia et privilegio (Basiliæ 1567, 8°).

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