Lettre 407 : Pierre Bayle à Louis Tronchin

[Rotterdam, le 2 avril 1685]

Monsieur,

La lettre que vous me fites l’honneur de m’ecrire le 25 d’aout dernier [1] ne me fut renduë que long tems apres, et me remplit d’une satisfaction incroiable, me faisant voir non seulement que vous continuez à m’honorer de votre affection, mais encore que les petites productions de ma plume ont eu le bonheur de vous plaire, et de recevoir des eloges de votre part [2]. Je n’oserois Monsieur, apres un tel jugement, m’imaginer que ce que j’ai fait ne vaille rien, car vous etes d’un esprit trop penetrant et d’une probité trop distinguée pour loüer ce qui ne vaudroit rien. Mais je ne m’aveugle pas assez en suite d’un temoignage si avantageux pour n’attribuer pas à votre bonté pour moi la principale partie du bien que vous trouvez dans mes ouvrages. Je croi qu’ils seroient meilleurs, si vous aviez voulu enrichir le public / des productions incomparables de votre plume, parce que j’aurois eu un excellent modele à suivre et sur lequel j’aurois pu me corriger de mes defauts par l’admiration singuliere où je suis pour tout ce qui vient de vous. Puis que vous souhaittez de savoir au vrai si je suis l’auteur de la Critique génerale [3], je vous aprens Monsieur, que je le suis. Tant de gens le savent presentement, qu’il ne serviroit de rien de n’en vouloir pas convenir.

Je vous suis tres obligé des consolations chretiennes qui sont dans votr[e] lettre au sujet de la mort de mon frere. L’am[itié] dont vous l’honnoriez me fait sentir combien j’ai perdu, et serviroit à me le faire d’autant plus regretter, si je ne considerois que les calamitez temporelles des protestans, et les difficultez qu’il eut eues à essuyer pour s’etablir dans ce monde, me doivent plus appliquer à la consideration du bonheur dont il joüit, qu’au regret de l’avoir perdu. Je souhaite Monsieur que Dieu vous conserve tout ce qui vous est cher, et sur tout qu’il vous conserve vous meme longuement pour le bien de son Eglise. / 

Vous savez sans doute que je me suis engagé à composer tous les mois une espece de Journal de scavans [4]. Le travail est sans doute tres-penible à un particulier comme moi. Le journal du mois de mars dernier contient quelque chose que M. Choüet m’a communiqué [5], dont je lui ai infiniment de l’obligation.

Je me recommande toujours à vos bonnes prieres et à vos bonnes graces, et suis avec un extreme respect Monsieur votre tres-humble et tres obeissant/ serviteur

 
Bayle

A Roterdam ce 2 d’avril 1685

 

A Monsieur/ Monsieur Tronchin pasteur/ et professeur en theologie/ A Geneve

Notes :

[1Lettre 323.

[2Tronchin avait reçu un exemplaire des Pensées diverses de Bayle et en avait fait l’éloge : voir Lettre 323.

[3Sur la publication et le succès de la Critique générale de l’« Histoire du calvinisme » de M. Maimbourg, voir Lettres 206, n.13, et 219, n.13.

[4Les NRL, conçues sur le modèle du JS.

[5Dans les NRL, mars 1685, art. V, Bayle avait publié un extrait de la Lettre 384 de Chouet portant sur le phénomène de la « lumière zodiacale ».

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