Lettre 425 : à

[Utrecht, mai 1685]

Au très illustre Monsieur Bayle

Je vous ai aimé avant de vous voir [1], vous dont j’avais entendu vanter les connaissances par plusieurs personnes pour qui j’avais beaucoup d’estime. Mais dès que j’ai vu moi-même vos divers travaux et que j’ai connu peu de temps après les charmes exquis de votre esprit, quand vous êtes venu nous voir il y a deux ans, mon ancien attachement pour vous a augmenté au point de devenir une ferme conviction qu’il n’y a personne qui vous aime plus, ni vous estime davantage, même s’il vous était étroitement lié par une longue fréquentation de bien des années, de sorte que si je peux vous rendre service dans quelque sphère que ce soit et vous aider de ma recommandation, je me réjouirai fort et me considérerai être arrivé à ce que j’ai appelé de tous mes vœux. Votre journal de nouvelles qui enrichissent le domaine des lettres est distingué, des hommes doctes produisent continuellement des monuments de l’esprit, ce dont je vous sais gré, encore qu’il y ait certaines choses que j’ai voulu depuis longtemps discuter avec vous en personne. Car depuis longtemps déjà je projette de venir vous voir, mais beaucoup de choses sont intervenues qui ne m’ont pas permis de suivre mon penchant. J’espère cependant qu’il me sera bientôt possible, en négligeant toute autre chose, de venir vous embrasser.

Entre temps vous voyez ici la copie d’une lettre d’ Hardouin [2], qu’il vient de me donner en me priant de vous en faire part. Il croit qu’une injustice lui a été faite, non par vous-même, mais par cet homme qui vous a donné une lettre au sujet du livre que lui, Hardouin, avait publié sur l’illustration de la géographie par les médailles anciennes. Hardouin se plaint qu’un jugement injuste ait été porté sur ce livre et beaucoup de choses odieuses imaginées sur son compte. Il ajoute que, puisqu’à son avis (et il le déclare hautement) vous êtes un homme probe et juste, il ne doute pas que quand vous aurez compris combien tout cela est faux, vous direz dans votre journal du mois prochain qu’il a été finalement assuré par des lettres d’amis aussi bien que par celles d’érudits et par vous-même, que, lu d’un bout à l’autre, ce que cet accusateur avait compilé dans le numéro de mars à partir de rapports faits par plusieurs avait été réuni inconsidérément. Cependant vous aviez agi avec une grande prudence etc.

Vous trouverez ici ses propres mots.

Quant à moi, cependant, je ne me mêle pas des querelles et de la rivalité d’hommes doctes ; j’ai des relations également amicales avec [Jean Foy] Vaillant [3] et [André] Morell [4], ainsi qu’avec Hardouin et surtout Ezéchiel Spanheim [5], que je fréquente depuis plusieurs années, et je confie toute cette affaire à votre jugement. Il me semble cependant que ( Hardouin, n’ayant jamais fait de tort à personne par aucun de ses écrits littéraires, et n’ayant pas pensé à mal) ce ne sera pas sans intérêt pour votre entreprise ni étranger à cette équité que j’ai promis que vous montreriez, de faire en sorte que sa lettre, que vous recevez maintenant, soit insérée dans le journal du mois prochain avec un genre de préface. Je ne veux pas, cependant, qu’on fasse précéder de mon nom la lettre française d’ Hardouin ; non qu’il m’importe beaucoup qu’elle soit précédée de mon nom ou pas, mais il suffit d’indiquer plutôt qu’elle a été écrite à un ami aux Pays-Bas. Hardouin ajoute enfin à ce qui précède qu’il a songé depuis à vous envoyer une lettre.

Notes :

[1Jean-Georges Grævius était professeur d’histoire à Utrecht et un philologue de renommée européenne : voir Lettre 85, n.6. Nous n’avons pas d’autres informations concernant le voyage de Bayle à Utrecht, dont il sera question plus bas dans cette même lettre.

[2Le manuscrit de la lettre de Jean Hardouin est perdu, mais Bayle a publié sa lettre dans les NRL, juin 1685, cat. ix : il s’agit d’une protestation contre les accusations dont il faisait l’objet après la publication de son ouvrage Nummi antiqui populorum et urbium illustrati (Parisiis 1685, 4°), dont Bayle avait rendu compte : NRL, mars 1685, cat. iv. Voir aussi Lettre 357, n.8.

[3Sur Jean-Foy Vaillant, voir Lettre 252, n.3.

[4Sur André Morell, voir Lettre 356, n.12.

[5Sur Ezéchiel Spanheim, depuis 1680 résident à Paris de Frédéric-Guillaume I de Hohenzollern, Electeur de Brandebourg, voir Lettre 13, n.15, et 359, n.13.

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