Lettre 431 : Charles Drelincourt à Pierre Bayle

[Leyde, le] 17 juin [1685] •

Si j’avois quelque soin de ma réputation [1], je ne me laisserois-pas-emporter à de telles boutades, que celles de vendredy dernier. Car, au retour d’une dispute académique, que j’avois l’esprit tout-remply de chicane, je vous fis mille chicanes sur mille petites vétilles.

Pour vous en venger, Monsieur, je vous conseille deus choses, l’une est de ne rien croire de tout ce que je vous ay débité : l’autre est de vous deschaisner contre mon latin, contre ma laconicité, et contre tant de procés que je fais à de pauvres innocens, qui n’ont eu aucune jouïssance des choses de ce monde.

Si aprés cela, Monsieur, vous ajoutez le mauvais traitement que je fais à mes auteurs, et, sur-tout, / à Fallope [2], que je poursuis, l’épée dans les reins, jusques dans ses derniers retranchemens, ce sera le véritable moyen de déchirer pitoyablement toutes mes chetives membranes.

Mais, du moins, Monsieur, gardez-en quelque lambeau, où vous marquiez d’un caractére inéfassable l’honneur que j’ay rendu à ces mêmes-auteurs, dans mon Traité des œufs [3] ; et que ce que j’en dis, à présent, n’est-pas pour flétrir leur réputation, mais seulement pour découvrir, aus yeus de tout le monde, tant de véritez physiques qui doivent paroitre, à nud, dans leur beauté naturelle. Or je ne puis lever le voile dont on les couvroit, sans montrer au doigt la véritable main qui nous cachoit ainsi toutes ces beautez que je recherche dans la nature.

 
Drelincourt 


Si cet acte de ma mortification ne vous sufit-pas, Monsieur, je le feray reconnoitre par devant les notaires.

Notes :

[1Sur Charles Drelincourt, fils du célèbre ministre, médecin à Leyde depuis 1668 et médecin de Guillaume III d’Orange, voir Lettre 361, n.2. Au cours de leur conversation, Drelincourt et Bayle ont dû s’entretenir de l’article que le journaliste préparait sur le dernier ouvrage du médecin : De tunica fœtus allentoïde meletemata. De tunica chorio animadversiones. De membrana fœtus agnina castigationes (Lugduni Batavorum 1685, 12°), article qui paraîtra dans les NRL de juillet 1685 (art. XI).

[2Gabriel Fallope (1523-1562), anatomiste et chirurgien italien. Voir la courte réfutation de Fallope dans l’ouvrage de Drelincourt De Humani foetus Membranis Hypomnemata (Lugduni Batavorum 1685, 12°), § 46. Cet ouvrage figure aussi dans ses Experimenta anatomica (Lugduni Batavorum 1684, 12°).

[3Sur cet ouvrage, dont Bayle avait rendu compte dans les NRL, décembre 1684, art. XIII, voir Lettre 377, n.2.

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