Lettre 1295 : Pierre Bayle à François Janiçon

[Rotterdam,] le 29 e d’aout 1697

Vos soins officieux et continuels, Monsieur, exigent toujours de moi que je commence par des remercimen[t]s. C’est ce que je fais aujourd’hui en repondant à votre bonne et obligeante lettre du 23 e du courant. Je devrois etre fort long sur cet article, cependant je l’expedie en deux mots persuadé qu’ils suf[f]iront à m’a[c]quit[t]er envers vous, votre honneteté etant telle que vous ne demandez que le plaisir d’obliger. Je vous suis donc bien commode, car je vous en fournis incessamment la matiere, et sans aller plus loin je vous en donne ici une occasion en vous priant de feliciter Mr de Tourreil de son retour à Paris, car je sup[p]ose qu’il y est arrivé heureusement, et de le prier de ne pas oublier les personnes dont il s’est a[c]quis l’admiration en ce pays ci. Je fais profession d’etre de ce nombre, vous m’obligerez infiniment de le lui dire. Il m’ap[p]rit que Mr Corbinelli souhaitoit une addition, elle sera faite infailliblement si l’ouvrage se rimprime, il n’a qu’à me l’indiquer. Je suis toujours en reste à l’égard de Mr Du Fay ; j’ai honte de n’avoir pas repondu encore à sa lettre, et je vous sup[p]lie de lui temoigner là dessus le deplaisir où je suis d’etre trop accablé pour m’a[c]quit[t]er ponctuellement des reponses que je dois. Je trouvai l’un de ces jours une occasion d’acheter le Seneque et le Pline des Elzeviers in 12 mais on le poussa si loin dans une vente publique, que je ne crus pas me devoir opiniatrer à renchérir. Je veux donc savoir de lui auparavant s’il veut avoir ces editions là coute qui [ sic] coute, car je dois l’avertir que quelques uns de la suite des plenipotentiaires de France ont couru toutes les boutiques de libraires de ce pays, et cherché avec tant d’ardeur ces editions là que les libraires se sont [av]isez qu’elles etoient fort recherchées en France, ainsi ils les mettent à un [hau]t prix. Le memoire que vous m’avez envoïé touchant Erasme est tres curieux, et je ne manquerai pas de l’emploier sans avoir egard à la longueur de l’article, car quand on coupe les matieres en diverses remarques la longueur n’est pas à craindre. Chaque lecteur saute ce qu’il ne veut pas savoir, et s’arrete aux faits qui lui conviennent. Je voudrois que Mr Bachelier des Marais eut ajouté la sentence d’accommodement. Je le saluë avec beaucoup de respect. Je con[n]ois par cet echantillon la curiosité et le gout de ses recherches.

Je ren[d]s mille graces à Monsieur d’Hozier de son memoire, et du soin de l’imprimé qu’il m’envoie. Je voudrois l’avoir eu quand j’en etois à la lettre H / j’eusse fait une exception à la regle que j’ai suivie de ne pas repeter ce qui se trouve dans Moreri. Ce qui ne s’est pas fait se fera dans le Sup[p]lement.

Je passe à ce que vous me mandez* touchant Monsieur l’abbé R[enaudot]. Cela consiste en un billet que vous en recutes le 2 e de juin dernier, et en ce qu’il vous a ecrit depuis ma lettre du 12 e, du courant. Vous me serez temoin que son billet du 2 e juin m’etoit incon[n]u • quand je vous ecrivis ma derniere lettre, et que jamais je ne vous ai ni dit ni insinué que je souhaitasse qu’il eut aucune connoissance de ce que je vous ecrivois touchant le rap[p]ort qu’il a fait à Mr le chancelier. Si donc il en a eu les oreilles rebat[t]ues c’est contre mon intention, et je puis vous protester que je ne songeois plus à cela il y a long tem[p]s, et que jamais je ne m’en suis mis en peine ; on l’a pu voir par la brieveté et par la simplicité des remarques que je fis. Ce qui a fait que j’y suis revenu est que j’ai ap[p]ris[,] mais fort tard[,] que son rap[p]ort etoit de 4 ou 5 pages, au lieu que je n’en con[n]oissois que 8 ou 10 lignes. J’ai donc cru qu’il etoit necessaire de faire savoir à ceux qui ont vu tout ce long rap[p]ort, et ma petite reponse[,] quel etoit à mon egard l’etat de la chose quand je fis cette petite reponse. J’ai presentement une copie complete du rap[p]ort : il me seroit fort aisé de le refuter. Je vous sup[p]lie Monsieur de ne lui rien dire de tout ceci ; la chose me tient si peu au cœur que je serois bien faché que vous l’importunassiez tout de nouveau. Je vous ai marqué que j’etois l’homme du monde qui ap[p]rouvoit le plus que chacun joüit pleinement des droits de sa liberté dans la Republique des Lettres.

Je recommandai hier tout de nouveau et tres fortement à Mr Leers votre exemplaire. Il me repondit que Mr Clement lui avoit envoié un ordre expres de ne rien mettre dans [les] balles de la bibliotheque du Roi qui ne fut destiné à cette bibliotheque, e[t qu’] ainsi à moins d’un contr-ordre ou d’une dispense il ne pourroit faire ce que [je] lui demandois. Or comme l’envoi qu’il doit faire ne sera point pret avant 15 jours d’ici plus ou moins, il aura le tem[p]s depuis que vous aurez recu cette lettre, de recevoir de Mr Clement la permission necessaire, et il m’a dit que Mr l’abbé Ren[audot] vous feroit aisement avoir cette permission. Il n’y auroit meme qu’à sup[p]oser que Mr de Tourreil a acheté ici 2 exemplaires. Celui qu’il a acheté avec quelques autres livres sera mis dans les bal[l]es de la bibliotheque du Roi. Il en a l’agrement, et c’est si je ne me trompe comme un paquet destiné à Mr l’abbé R[enaudot]. Qu’il soit plus gros cela n’y fera rien. Je souhaite ardemment Monsieur que l’obstacle soit levé par l’expédient que je vous indique.

Je suis avec une extreme reconnoissance votre tres humble et tres obeissant serviteur

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261761

Institut Cl. Logeon