Lettre 1305 : Pierre Bayle à Jean Le Clerc

[Rotterdam, le 30 septembre 1697]

Dès que j’eus eté averti, Monsieur, que vous et Monsieur Leti me preniez pour l’auteur des Considerations sur la critique des loteries, je me donnai l’honneur d’ecrire à Monsieur Leti pour lui protester que je ne savois ce que c’etoient que ces Considerations, et que j’etois bien faché* qu’on lui eut mis dans l’esprit une chose aussi eloignée de la verité que celle là. Je le priai de vous faire part de ce que je lui ecrivois, car je souhaitois Monsieur, passionnement que ni vous ni lui ne demeurassiez pas dans une erreur qui m’etoit si desavantageuse. Si je n’avois pas eté averti de bon lieu* que vous etiez tous deux dans cette persuasion, je n’aurois jamais pu croire cela. Je crus avoir entierement dissipé cette pensée par la lettre que j’ecrivis à Monsieur Leti, et je ne songeois plus à cela quoi que je n’aie point recu reponse de lui mais tout à l’heure* je viens d’ap[p]rendre de Mr Leers qui a eté à La Haye depuis peu qu’il y a oüi dire que vous continuez Monsieur avec Monsieur Leti dans cette premiere persuasion et qu’on vous a fait ac[c]roire que Desbordes et Leers ont imprimé ces Considerations conjointement. Rien au monde ne m’a / jamais tant chagriné* que cette nouvelle. Je puis faire serment qu’encore aujourd’hui je ne sai pas ce que c’est que ce livre là[,] je ne l’ai vu ni lu. Imaginez Monsieur tout ce que vous jugerez de plus propre pour decouvrir si je vous parle sincerement ; mettez moi à toutes les epreuves imaginables, je vous engage ma parole que je les subirai. Si je savois un moyen seur et infaillible de trouver ici l’innocence, et de vous la faire voir, je l’emploierois avec le plus grand plaisir du monde, et si vous en connoissez quelcun, je vous sup[p]lie de me l’indiquer. Mes ennemis sans doute m’ont joüé ce mauvais tour, ils auront debité cent mensonges circonstanciez dans le dessein de me mettre mal et avec vous Monsieur et avec Monsieur votre beau pere. Il est tres certain que je n’ai vu son livre des Loteries que par l’exemplaire qu’il me fit la grace de m’envoier. Cela seul prouve que je ne saurois etre l’auteur des Considerations, car depuis le tem[p]s qu’on en parle il faut qu’elles aient paru peu apres que j’eus recu cet exemplaire. Je n’insiste pas sur cela parce qu’encore qu’il soit vrai que je n’ai vu les Loteries que par l’exemplaire de present, je ne puis pas en donner de preuves. Je ne puis alleguer que mon temoignage et mon serment, c’est pourquoi j’en / reviens Monsieur à vous demander tous les autres moïens les plus capables de montrer mon innocence. Je souhaite passionnement de n’etre point meme soupconné de pareilles choses par des personnes que j’honore autant que vous. Si vous vouliez me faire la grace de me marquer les raisons de votre croiance en ce point ci, je vous en serois fort obligé.

Mr Leers doit aller bien tot à Amsterdam, et il y iroit expres • pour vous desabuser Monsieur de ce que[,] à ce qu’on lui a dit[,] vous croiez qu’il est de part à l’impression des Considerations. Il m’a dit qu’il est pret à faire serment devant tous les tribunaux du monde qu’il n’a encore vu quoi que cesoit de ces Considerations.

Je vous prie tres humblement Monsieur de m’honorer d’un mot de reponse, et de me croire, Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur

Bayle

A Rotterdam, le 30 e de sept[embre] 1697

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