Lettre 1328 : Pierre Bayle à Jean-Baptiste Dubos

• [Rotterdam,] le 18 de nov[em]bre 1697

Vous m’avez tiré de peine, Monsieur, en m’apprenant que vous avez recu l’exemplaire de Mr Cuper : car Mr Burlet n’avoit recu aucune nouvelle de la reception du paquet où etoit cet exemplaire, quand Mr le comte de Celi revint de Paris, vous n’avez dû recevoir que votre exemplaire, car les / trois autres aussi bien que celui là avoient eté adressés par moi à Mr de Bourdelot medecin de Mad [am]e la duchesse de Bourgogne. Je suis surpris que la suscription du votre n’ait pas eté de ma main ; elle devoit l’etre pourtant. Il y a eu là- dedans quelque mal facon que je ne puis debrouïller. Mr Burlet m’a dit depuis que Mr Bourdelot avoit recu le paquet à Fontainebleau, et qu’on lui en avoit fait païer le port ; je m’en etonne car il fut recommandé à un domestique de Mr de Harlai qui accompagnait le comte de Celi. De tout tem[p]s ces gens là sont mercenaires, et aspres au gain. Lingua pars pessima servi : disoit Juvenal, mais la main ne vaut gueres mieux.

J’ay fait vos complimen[t]s à Mr Cuper, et lui ai communiqué aussi de quelle manière vous avez dessein de repliquer, il a une dissertation de Mr Sperlingius entre les mains qu’il fera peut etre imprimer : on y prouve que tous les sicles* qu’on a des juifs sont sup[p]osés : cette nation n’aiant jamais eu propriam pecunium signatam. J’espere que le Nouveau Testament de Mr Martin que j’ai divisé en deux paquets, et fait donner à Mr Le Pelletier des Forts, sera parvenu à vous sans que le port vous ait rien couté : j’y mis trois lettres que je vous prie de faire tenir à Mr l’abbé Nicaise ; les deux sont pour luy, et l’autre pour le Pere Pagi. J’attends un exemplaire du nouveau projet du gentil-homme danois ; car j’ay eté averti depuis un mois qu’on l’a adressé à l’Ile pour moi.

Mr Hartsoeker qui est parti d’ici pour Paris depuis quatre ou cinq jours, et qui reviendra dans un mois ou deux, s’instruira à fond du dessein de l’ abbé de Haute Feuille ; car il entend bien ce qui concerne les telescopes : il a regalé le grand duc de Moscovie à Amsterdam de la veüe de la lune, et de Jupiter : il y porta ses telescopes, fit dresser un mat dans un jardin, etc. Ce prince / a assez de genie pour les mathematiques, et gouta beaucoup l’operation astronomique de Mr Hartsoeker mais du reste, quel travers d’esprit, il ne se plait guere qu’à charpenter, et il passe des jours entiers à travailler comme un ouvrier à la construction des vaisseaux : on le voit aux atteliers tout comme le plus vil manœuvre.

Il y a longtem[p]s que j’avais envie de vous demander des nouvelles de Mr Baudelot et voila que vous me primez en m’ap[p]renant qu’il a publié depuis peu une lettre sur une medaille. Je vous prie de l’assurer de mes tres humbles services. Sa dispute sur Pacatianus me servira de materiaux dans mon Sup[p]lement[.]

On a dit ici penda[nt] quelques jours que les [...] influences fort actives, et fort universelles, avoient [ressenti] un grand mecontentement de la paix à cause de l’abandon du roi Jacques, et que ce mecontentement avoit eté si visible qu’on avoit eu de la peine à extorquer de la populace les cris de « Vive le Roi », quand on publia dans Paris la paix avec l’Angleterre, et la Hollande ; mais aujourd’huy les gazettes nous apprennent à l’article de Paris qu’on prepare des feux d’artifice, et des Te Deum avec toutes les demonstrations de pompe, et de joie publique qui se puissent.

Ce qui se fait à Londres pour marquer la joïe de la nation, et pour recevoir triomphamment le roi, sur passe tout ce qui s’est jamais vû en ce païs là. Quand le faste naturel est soutenu d’une certaine emulation de gloire, et d’un dessein formel de faire accroire que tout l’avantage est de son costé, on va bien loin, on encherit sur tous les siecles passés : on donne de nouveaux exemples.

L’audience de vos plenipotentiaires se fit sans pompe : le roi Guillaume l’aïant souhaitté ainsi, et il resta seul dans sa chambre avec eux trois : on n’a pas laissé de savoir que le discours de Mr de Harlai fut rempli d’avances tres obligeantes et tres flat[t]euses, et que la reponse fut remplie de marques / d’estime, et d’eloges du Roi tres chretien.

Nos nouvelles litteraires sont peu de choses. Mr Crenius Allemand demeurant à Leyde, vient de publier deux livres ; l’un est un recueil de dissertations philologiques, et theologiques qui avoient paru en divers tem[p]s en Allemagne, à quoi il a joint une preface et quelques notes ; l’autre est la 3 e partie, les Animadversiones historicæ, et philologicæ ; il y entre-mêle de tem[p]s en tem[p]s quelques lettres d’hommes illustres non encore imprimées : il y en a une du Pere Mersenne à un professeur de Franeker, nommé Sixtinus Amama.

Mr Matthæus professeur en droit à Leide a publié quelques manuscrits qu’il a deterrés dans les bibliotheques : il intitule son livre, Veteris ævi Analecta ; c’est un in 8°. La plus part des pieces regardent l’histoire de ce païs ci : quelques unes même sont en flamend ; mais la premiere est assés curieuse. C’est l’histoire de l’expedition de Charles Quint contre Barberousse, ecrite en latin par Antonius Pontus Consentinus : Mr Le Fevre frere de Madame Dacier qui est ministre demeurant depuis quelques mois à Amsterdam, y a fait imprimer un petit livre, De futilitate poetices où il dit beaucoup de mal des anciens poetes, c’est à dire, et de leur personne, et de leurs ouvrages ; il se plaint fort dans sa preface de ce que le synode wallon ne lui permet que de precher, lui defendant au reste de baptiser, et d’administrer le sacrement de l’eucharistie, jusques à ce qu’il soit ministre affecté à une Eglise.

Je vous sup[p]lie d’agréer que j’assure Mr Du Marsin de mon amitié, et que je vous recommande ce billet pour Monsieur Janisson.

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