Lettre 1333 : Edouard de Vitry à Pierre Bayle
Les Grecs et les Latins ont pensé comme Pibrac, et c’est ainsi que le bons [ sic] sens le doit dicter au commun des hommes. On trouve peu de genies qui aient ce caractere de superiorité qu’on remarque, Monsieur[,] dans tous vos ouvrages, qui vous rend egalement le maistre de toutes les matieres que vous voulez imiter, qui vous fait trouver partout des tours si beaux, et si charman[t]s etc. qui me fait quelquefois souhaitter, permettez moi cela, Monsieur, que vous fassiez quelque jour un meilleur usage d’un si beau talent, que Dieu ne vous a donné que pour procurer sa gloire, et pour eclaircir, et deffendre la verité. 2° Hors de la mathematique, il me paroit que tout est fait, en sorte qu’il ne reste plus qu’à glaner, ou que ce qui reste à faire / ne peut s’entreprendre sans temerité ; je ne trouve rien en quoi puisse s’occuper un honnete homme, qui avec de la santé, quelque avance, beaucoup d’envie d’etudier, n’a, Dieu merci, point d’ambition, et qui etant bien resolu de ne jamais rien deguiser, de ne trahir jamais ses sentimen[t]s, veut cependant vivre en paix, et n’aime point à trouver certaines gens en son chemin. Vous savez mieux que personne l’etat present de la Republique des Lettres sacrées, et profanes : oserois je esperer que vous prissiez la peine de me donner un dessein, s’il s’en presente à vous quelqu’un dont vous me jugiez capable ; en attendant de vous cette grace, songeons aux mathematiques.
Vous me feriez plaisir de vous informer s’il y a quelqu’un dans vos quartiers qui travaille aux ephemerides pour le siècle prochain. Les gens du Nord ne devroient pas laisser faire aux Francois un ouvrage tel que celui-là, et il est tem[p]s de le commencer, et meme de se declarer ; car il seroit desagreable[,] apres avoir essuïé la fatigue d’un ouvrage si ingrat[,] de trouver encore quelqu’un qui eut pris les devan[t]s. Je connois en ces païs ci un homme qui y veut travailler, et qui y reussiroit, mais je serois bien aise de le voir reussir en autres choses. Vous savez que Mr le marquis de L’Hopital a publié le calcul differentiel dans son Analyse des infiniment petits[.] Il ne veut pas encore publier le calcul integral par respect pour Mr Leibneits de qui on attend un bel ouvrage là dessus. Mr Leibneits s’acquitteroit asseurement de cela bien mieux qu’un autre : mais on a peine à croire qu’il ait maintenant assez de loisir pour songer à cela ; de plus quelques gens m’ont dit que [ce que] Mr Leibneits savoit sur ces matieres, il l’avoit appris dans les papiers manuscrits de Mr Descartes qui lui etoient tombés entre les mains ; avez vous quelque connoissance de cela ? Mr Bernouly est il etabli à Groningue, et songe t’il à quelque ouvrage qui en vaille la peine ? On parle d’un Traitté de la conscience qu’on m’a promis / de me faire voir : on l’attribuë à Mr Basnage, apparemment l’auteur de l’ Histoire des ouvrages des savans : on m’en a fait de grands eloges, et ceux qui le loüent m’ont toujours paru bons connoisseurs. Je ne sache rien de tous ces païs ci qui vaille la peine de vous etre mandé*. Quand nous aurons votre livre, nous aurons asseurement de quoi nous occuper et de quoi faire des reflexions que nous prendrons la liberté de vous communiquer, si vous le trouvez bon. Je suis, Monsieur avec respect etc.