Lettre 1337 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle

• [Maastricht,] le 24 dec[em]bre 1697

C’est, mon cher Monsieur que je croiois que le poëme de Glycas etoit de la premiere main, et qu’ainsi j’aurais le plaisir de voir Mr de La Monnoye, in puris naturalibus, et de plus qu’il n’y auroit aucun changement dans les vers. Car fort souvent on envoye en province, certaines secondes pensées, ou paroles substituées, qui ne furent jamais de l’auteur d’une piece ; il me semble pourtant vous avoir ecrit que j’etois tout prest à vous renvoïer votre poëme, dès que vous le souhaitteriez, et le voici, mon cher Mr. Je vous en rends graces tout de nouveau, et vous supplie de me communiquer toujours pareilles belles choses. Glycas m’a rejoüi et me rejoüira long tem[p]s.

J’ay leu à l’auteur des remarques ce que vous m’ecrivez. Il vous en remercie tres humblem[en]t et est asseurement votre serviteur, mais pour ce qui est d’etre cité dans votre livre, il m’a prié de vous dire que[,] quoique ce seroit le plus grand honneur qu’il pourroit recevoir en sa vie, que neanmoins[,] n’aiant jamais paru dans le monde, il ne souhaitte point d’y entrer ; il croit que c’est assez / pour lui de se connoitre en belles et bonnes choses et les estimer à peu près ce qu’elles valent : pro modulo nempé Sibi à naturâ indito : mais que d’aller se montrer aux savan[t]s une fois ou deux, et par lambeaux ; c’est une chose qui n’est point du tout de son goust, et à laquelle il croit de la vanité annexée ; il a peut-etre raison et il faut le laisser joüir de son opinion, pour moi je n’en suis point du tout. Je croi avec Seneque, et bien d’autres, qu’il faut du moins etre connu, si l’on ne peut parvenir à etre loüé. Je me trouve assez bien des bons offices de votre Diction[n]aire, pour me savoir bon gré d’avoir aspiré à y etre cité. Je m’en felicite tous les jours, et vous en remercie tous les jours, et si je ne vous le mande* pas chaque [fois], ce n’est pas que mon ressentiment en soit moins vif, ni moins ardent qu’autrefois ; c’est que j’apprehende de vous faire toujours des complimen[t]s contre lesquels vous regimbez d’ordinaire.

A la fin j’ay trouvé Mr le grand doyen qui m’a paru tout amour, tout respect, et tout[e] estime pour vous. Il a bien ri du jesuite provençal, aussi bien que du demagogue Lydius. Où est-ce que ces gens là vont courir, ayant tant d’affaires au logis ? Mais, mon cher Monsieur, il y a des hommes qui ne sont jamais plus mal que chez eux : il faut qu’ils sortent pour se retrouver. Pascal a dit merveilles sur ce sujet, à ce qu’il me semble. Mr le doyen vous baise tres humblement, tres respectueusement et tres affectueusement les mains ; ce sont ses termes[.] Mr Barthelemi en fait de mesme ; et est un de vos plus grands admirateurs.

Dites moi un peu, si vous le savez, ou pour mieux parler, si vous le voulez, où mon heros hyperillustrissime a lû l’histoire de ce Meleagre, dont / il parle dans son troisieme discours de Aristippe ? Depuis quinze jours, je cherche de tous costés, et n’ay encore rien trouvé : est-ce qu’il en seroit comme de son medecin grec qu’il dit avoir eté à Xercés, et qu’ Herodote, ce me semble, donne à un autre roi : je vous demande cecy hardiment et sans façon suivant le congé que vous m’avez donné de vous ecrire tout ce qui me viendroit en teste, sans pretendre à aucune response. Cependant vous me feriez bien du plaisir : et tu occasiones obligandi me avidissime amplecteris, et ego nemini libentius debeo.

Tout à vous.

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