Lettre 1341 : Pierre Bayle à un Parisien

[Rotterdam, 1697]

Je mets sur ce billet à part ce que j’ai à vous repondre touchant Mr Thierri. J’avois travaillé pour lui en chemin faisant, et j’avois fait plusieurs corrections au Moreri. Je lui en ai meme fait tenir quelques unes, et je lui en ai souvent offert de semblables. Je vous parle d’un tem[p]s assés eloigné, il me prevint meme fort honnetement par une lettre de change de cent ecus si je m’en souviens bien. Je croi que s’il eut voulu donner les mains à une proposition que je lui fis, et que Mr Leers lui reitera plusieurs fois, je n’aurais jamais songé au Diction[n]aire critique mais seulement à la correction du Moreri. Nous lui proposames d’associer Mr Leers à son Diction[n]aire seulement par grimace, car Mr Leers m’a assuré qu’il lui avait fait une declaration par ecrit qu’il ne pretendoit en nulle maniére se prévaloir de cette association. Il n’avoit en vuë que d’empecher d’autres libraires de ce pays qui ne l’aiment pas et qu’il n’aime guere, de s’enrichir à contrefaire Moreri ; et il les eût empechez de l’imprimer, • en obtenant ici un privilege des Etats, comme il lui eût été facile, pour l’edition de France, en qualité d’associé de Mr Thierri. Mr Thierri par je ne sais quelle fatalité qui fait que les gens les plus eclairez sur leurs interets ont quelquefois de mauvais momen[t]s, et donnent à gauche*[,] rejetta toujours la proposition, et m’écrivit diverses fois qu’il ne se soucioit point que l’on contrefit son Moreri, qu’il n’en vendoit presque point en Hollande, et que l’edition de Hollande n’entreroit point en France[,] qu’ainsi elle ne lui feroit aucun prejudice. C’etoit mal con[n]oître l’avenir et le present meme, car il est seur que son Moreri se vendoit tres bien en ce pays-cy, et qu’il est entré en France un nombre infini d’exemplaires de l’edition de Hollande.

Le nom de Monsieur Le Clerc mis à la tete a donné une / curiosité excessive • d’avoir en France cette nouvelle edition, dont le debit a eté tel qu’au bout d’un an il fal[l]ut en faire une seconde, qui auroit été suivie d’une autre chaque année, si les libraires n’avoient jugé à propos de dif[f]erer la troisième jusques après la publication de mon Diction[n]aire. Cette attente a eté bien longue pour eux. Enfin dès que mon ouvrage a paru[,] ils ont remis Mr Le Clerc à ce travail : ils preparent une nouvelle edition dans laquelle ils corrigeront ce que j’ai marqué comme fautif dans Moreri, et Mr  Le Clerc corrigera encore de son coté, et fera des additions. Il est bien seur que presque toutes les fautes que j’avois corrigées pour Mr Thierri et qui m’avaient couté bien du tem[p]s, disparoitront à cette 3 e édition de Hollande ; je parle meme de celles que je n’ai pas emploiées. Je previs bien que mon travail seroit inutile puis que Mr Thierri consentoit qu’on rimprimat en Hollande son Moreri revu par Mr Le Clerc, et comme d’ailleurs je ne voiois pas que l’edition de Mr Thierri fut en train, (en effet elle n’est pas encore commencée) je me resolus à faire un autre usage de mon loisir. Je regarde comme perdues pour moi les corrections qui me restent de celles que j’avois prepares pour Mr Thierri, car comme je l’ai deja dit Mr Le Clerc corrigera sans doute les memes choses[,] s’y ap[p]liquant beaucoup mieux qu’il n’a fait aux deux precedentes revisions. Ainsi[,] Monsieur[,] j’ai le deplaisir de ne pouvoir vous promettre presque aucun service, car ce qui ne me servira point pour les deux nouveaux volumes à quoi je travaille • seroit peu de chose, et deviendroit meme inutile à cause que ce seroient des corrections que Mr Le Clerc fera sans doute. Mais s’il arrivoit qu’il me restat quelque chose qui valut la peine de vous etre communiqué, je vous le promets de tres bon cœur.

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