Lettre 1354 : à

Je voudrais, très cher ami Bayle, que vous vous persuadiez qu’il n’y a manifestement aucun jour, aucune occasion qui puisse détruire ou endommager, encore moins renverser, notre amitié parfaite, protégée et confirmée par la répétition de nombreux services mutuels. Car les chênes ne donnent-ils pas des racines larges et saillantes qui se dispersent dans toutes les directions et s’accommodent à toute sorte de fonctions, si bien qu’on peut parfois espérer non seulement des fruits très délicieux mais, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, la renaissance de l’arbre, lorsque le tronc même est abattu – ce que je ne désire pas ? J’avoue que depuis longtemps je ne vous ai rien donné en fait de lettres. Mais c’est le sort commun en ce moment de tous mes amis. Je ne pouvais pas ne pas les oublier. Même si je le voulais, je n’avais pas un instant pour penser à eux. Mais les étudiants me forcent à les négliger quelque peu, ou plutôt, les exercices académiques, qui franchement me sont nouveaux et inhabituels, constituent pour moi une assez lourde tâche. Consacrer à ceux-ci journées, nuits, veilles, sommeil, étude, diligence, et tout ce qu’il y a d’autre qui puisse être ou est habituellement donné comme soin du corps ou de l’esprit, tout cela ma réputation l’exige. C’est que mes amis ont suscité à mon égard un trop grand espoir parmi les jeunes, une trop grande attente chez les doctes et finalement dans l’université de Harderwijk même [dans la province de la Gueldre]. Ici, le seul et unique vœu, non seulement le mien mais celui de tous les citoyens tant de la ville que de l’université, concerne la réparation dans la mesure du possible de ses bâtiments effondrés, leur restauration, leur embellissement. Une fois les travaux finis, je ne tarderai pas, je ne dis pas à me rendre, mais à accourir volontiers chez vous pour vous informer de ce que j’aurai fait jusque-là et de ce que je projette de faire ensuite.

Donnée à Harderwijk, le 14 mars 1698.