Lettre 1371 : Jacques-Gaspard Janisson du Marsin à Pierre Bayle

A Utrecht le 30 juillet 1698

Vous aurés sans doute êté surpris, mon cher Monsieur, d’apprendre mon arrivée en ces quartiers* ; il me semble cependant vous avoir marqué cidevant que je me disposois à passer en ce paÿs ; ce qui doit vous surprendre le plus, c’est d’avoir passé par vôtre ville, sans avoir eu le bonheur de vous voir[.] Je croi cependant que vous voudrés bien m’excuser, et que vous trouverés mes raisons valables, et au cas que vous ne les trouviés pas, je me soumets à vous faire telle satisfaction que vous jugerés à propos. Je vous dirai donc prémierement que j’arrivai jeudi au soir à 9 heures à Rotterdam, que le lendemain / il m’y fallut régler quelques petites affaires, que le samedi mon epouse et moi allames visiter plusieurs parentes, telles que sont Madame de Brieux et M [m]e Blette et M lle Du Vidal, où nous passames presque toute la journée, puisqu’elles nous retinrent à souper[.] Le dimanche nous allames au prêche du matin et de l’après dinée, et soupames chez M [m]e de Brieux[.] Je commis même une incivilité envers ces dames, en sortant de l’église, puisque je fus obligé de les quitter, pour aller écrire plusieurs lettres pour Paris, parce que je partois le lundi à six heures du matin pour cette ville[.] Vous voyés, mon cher Monsieur, que je vous ren[d]s un compte exact de ma conduite, et que ce n’a êté / qu’avec regret que j’ai quitté vôtre ville sans avoir eu l’honneur de vous embrasser, et de vous assurer de vive voix combien j’ai d’estime pour vôtre person[n]e : si j’avois pourtant sû où vous logiés, j’aurois dérobé quelques momen[t]s pour vous voir ; mais on m’a dit que vous étiés délogé. Les devoirs que j’étois obligé de rendre à mon oncle, ont hâté mon voyage[.] Je partirai d’ici ce soir pour La Haye, d’où j’espére être en état de me rendre en vôtre ville dans peu de jours pour avoir l’honneur de vous voir ; et de vous demander de bouche la continüation de l’amitié que vous m’avés témoignée dans plusieurs de vos lettres[.] Je me flatte que vous me l’accorderés puisque je / tacherai par toute sorte d’endroits de la meriter.

Vous trouverés ci-joint, une lettre de mon pére qui étoit dans le paquet que j’ai receu aujourd’hui de Paris[.] Il est vrai que mon pére n’a point êté instruit de mon dessein qu’aprés ma sortie de France, ce qui l’a un peu surpris ; mais il a trouvé mes raisons bonnes, et j’espére que la conduite que je tiendrai ici l’en convaincra de plus en plus ; car vous savés que des gens de nôtre profession, ne peuvent présentement faire aucun établissement solide dans le paÿs que j’ai quitté[.] Je ne sai point encore quel parti je prendrai en celui ci ; mais j’espére que le succés n’en sera pas si mauvais que mon pére l’apprehende : Audaces fortuna juvat, timidosque repellit.

Je vous souhaitte le bonjour, et suis tout à vous

Janisson du Marsin

Vous m’obligerés de m’écrire à La Haye et de me marquer où je pourrai avoir l’honneur de vous voir : je ne sai si Mr l’ abbé Du Bos l’aura eu, je le croi presentement sorti de l’Angleterre : nous parlerons ensemble touchant ce que Mr Léers a envoyé à Roüen. /

Addresse : A Mr Janisson-du-Marsin chez M [m]e Le Fevre à l’enseigne du maréchal de Turenne / A La Haye.

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261850

Institut Cl. Logeon