Lettre 1381 : Pierre Bayle à Jean Bruguière de Naudis

A Rotterdam le 20 e septembre 1698

Je m’en vais répondre à votre lettre du 31 e mars dernier, Monsieur mon très-cher cousin, j’aurois bien des choses à vous dire, mais le travail de mon Dictionnaire me presse si fort, que je ne puis m’en détourner, car si je veux être en état de fournir aux imprimeurs la copie qu’ils demandent incessament, il faut que je me tienne dans un parfait repos dès que j’ai fait ce qui leur est necessaire, autrement je ruinerois de telle sorte ma santé, et je m’épuiserois à tel point qu’il me seroit impossible de continuer. Je me bornerai donc à vous parler d’une chose à laquelle j’ai songé depuis quelques mois.

Je conseillerois à mes cousins vos aînés qui aiment l’étude, et qui ont des talen[t]s à se signaler dans les lettres, d’entreprendre l’histoire du comté de Foix. M. de Bonrepaux à qui je disois il y a quelque tem[p]s que c’est presque la seule province du roïaume dont on n’ait pas fait une bonne histoire, me dit que cela lui paroissoit étonnant, et qu’il en étoit fâché*, et qu’il souhaiteroit bien que quelque habile homme songeât à cela, et qu’il l’aideroit de plusieurs secours et mémoires. Aïant fait reflexion à cela, il m’est venu la pensée dont je viens de vous faire l’ouverture touchant mes cousins. Comme cette entreprise demanderoit beaucoup de tem[p]s, il faudroit s’y préparer de bonne heure pendant qu’ils sont à la fleur de leur âge et capables de toutes les fatigues de corps et d’esprit qu’un tel travail exigera ; car non seulement il faudroit donner l’histoire des comptes, ce qu’ont déjà fait plusieurs, mais une description géographique du païs, et l’histoire naturelle, c’est-à-dire, ce qu’il y a de singulier par rapport aux minéraux, aux métaux, etc. Il faudroit prendre pour modele l’ Histoire de Bearn par M. de Marca, celle de Bresse par Guichenon et quelques autres. Je pourrai leur indiquer plusieurs livres qui leur pourroient être utiles, et donner des avis sur bien des choses. L’importance est de faire ensorte que quand on aura sçû les mesures qu’ils auront prises pour un travail comme celui-là glorieux à tout le païs, les Etats de la province leur fassent une pension, et je suis persuadé que M. de Bonrepaux contribuera à cela en tout ce qu’il pourra. Examinez bien ceci, et donnez le leur à examiner.

En recevant votre derriere lettre j’ai aussi reçû celle que notre bon ami de l’isle de Ré m’a écrite, où il m’apprend qu’il va partir avec son épouse pour lui faire voir la parenté.

Je compatis, je gémis et je soupire pour l’état où la religion réformée est réduite en France et je ne vois aucune espérance, humainement parlant, d’aucun rétablissement. Je vous recommande à la grace du bon Dieu, vous, ma chere cousine votre chere epouse, vos enfans et notre parenté en général, et je vous rends mille graces de la bonté que vous aurez de me mêler dans vos entretiens avec l’ami de l’Isle de Ré. Je voudrois bien y avoir part en personne.

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