[Rotterdam, le 25 septembre 1698]

Au très célèbre et très distingué D.D. Antonio Magliabechi, directeur de la bibliothèque de Florence, Pierre Bayle adresse ses meilleures salutations.

Lorsqu’il y a quelques années, le Révérend Père Coronelli, devant passer en Angleterre avec les ambassadeurs de la République de Venise, a séjourné plusieurs jours dans cette ville, nous avons beaucoup parlé de vous, dont le prestige est considérable et la réputation universelle. Je lui ai exprimé mon intention qu’un exemplaire de mon Dictionnaire historique et critique, qui était alors sous presse, vous soit envoyé, et lui ai demandé que, puisqu’il assurait que vous étiez liés par de fréquents échanges épistolaires, il vous informe le plus rapidement possible, dans une lettre, de mes remarques sur vous-même et de mon projet. Non seulement il s’est engagé à cela, mais il a également promis de vous faire transmettre par ses soins cet exemplaire. Et il disait qu’il pouvait d’autant plus facilement s’en porter garant, que les négociations qu’il avait engagées avec Reinier Leers, libraire de cette ville, dont les imprimeurs produisent mon Dictionnaire, était telles qu’à l’avenir, il recevrait de nombreux livres et qu’inversement il en enverrait lui-même. En effet, ils ont convenu entre eux d’un tel accord, et le Révérend Père Coronelli a promis que lorsqu’il aurait lui-même choisi quelques livres dans la librairie de Leers et les aurait achetés, dès qu’il serait rentré à Venise, il réunirait tout ce qu’il pourrait trouver et le mettrait à ma disposition. Leers a pris soin de faire parvenir à Venise, en passant par l’Allemagne, le paquet de livres qu’il avait lui-même achetés et pour la valeur desquels, en vertu du contrat conclu, il devait recevoir d’autres livres d’Italie envoyés par Coronelli. Mais jusqu’à présent il n’a rien reçu du susdit Père Coronelli : et c’est ce qui explique pourquoi ces exemplaires de mon Dictionnaire, que le même Père avait souhaités recevoir ne lui furent pas envoyés ; Leers a cru, en effet, qu’il fallait attendre que Coronelli tienne sa parole avant d’envoyer les livres qu’il avait promis, ou qu’il paye le prix du paquet. Tandis que nous attendions chaque jour des nouvelles de lui, une année a passé, puis une autre. Cependant, moi qui devais joindre à ces exemplaires celui que je désire vous offrir en signe d’hommage et de respect, je vois disparaître mes espoirs de vous l’envoyer. Voilà, homme le plus digne de toutes les louanges, la raison qui m’empêche de vous envoyer ce petit cadeau. Mais comme je commence à désespérer du concours que le Révérend Coronelli m’avait offert, nous pouvons encore utiliser la voie maritime. Seulement, pour faciliter les choses, je crois qu’il vaut la peine de chercher le nom d’une personne à qui adresser le paquet dans quelque ville d’Italie ; sans quoi il y aurait le danger que, ce qui est arrivé plus d’une fois au très célèbre Grævius, à moi aussi il arrive que ce livre ne parvienne jamais à son destinataire.

Faites donc en sorte, je vous prie, par le très célèbre Gronovius ou quelqu’un d’autre que vous connaissez bien, que je sache quelle est la route la plus sûre par laquelle je pourrais vous envoyer mon Dictionnaire. Alors je vous écrirai un grand nombre de fois pour vous demander, à vous qui êtes très expert dans tous les genres de livres, des conseils et des critiques.

Portez-vous bien, homme incomparable, éminent ornement et pilier de la République des Lettres. Trouvez bon de m’aimer,

Donnée à Rotterdam le 25 septembre 1698

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