Lettre 1395 : Pierre Bayle à Gaston de Bruguière

[Rotterdam,] Le 4 e de decembre 1698

Je suis tres faché, M[onsieur] M[on] T[rès] C[her] C[ousin] que la manière dont vous aviez tronqué l’adresse du paquet ait été cause qu’il est demeuré fermé dans mon cabinet plus de 3 sepmaines sans que les lettres qui y étoient contenues aient pu être rendues. Mais le délai n’a produit aucun mauvais effet : Son Excellence Monsieur de Bonrepaux que j’ai eu l’honneur de voir m’a asseuré qu’il avoit déjà eu soin de vous rendre tous les bons offices qui dépendoient de lui. Il m’a dit qu’il avoit reçu plusieurs de vos lettres, et qu’il ne vous répondoit pas pour vous épargner de ports inutiles, mais qu’il ne laissoit pas de faire ce que vous lui demandiez. Vous lui êtes redevable de ce que votre compagnie, comme vous l’avez souhaité, a été laissée si long tem[p]s dans la meme garnison de S[ain]t Martin. Il m’a dit que je vous écrivisse de vous tenir dans un plein repos, et que sans aucune sollicitation, il vous rendroit tous les bons offices qu’il pourroit. « J’ai écrit m’a-t-il dit, et ce sont ses propres termes, à Mr d’Aguesseau pour le rétablissement de sa pension, qui auroit déjà été rétablie si les fonds n’avoient manqué. Mr d’Aguesseau m’assure en dernier lieu que Mr de Bruguière sera le premier qu’il proposera au Roi pour être paié des premiers fonds qu’il y aura. » Son Excellence partit hier de La Haye pour aller en France. Il a congé pour trois mois. Il va pour sa santé / à quelques bains de Languedoc. Contentez vous de faire vos très humbles remerciemen[t]s à Madame d’Usson qui a écrit pour vous une lettre si obligeante, et priez-la très humblement de temoigner votre gratitude à Son Excellence de la protection de laquelle vous avez recu tant de biens et d’avantages.

Comme je suis fort occupé, et plus que jamais à cause que je corrige tout à la fois la première edition de mon Diction[n]aire et que je travaille à la suite et que ma santé demande que je me menage beaucoup, je ne puis écrire aujourd’hui à notre ami du Carla. Il faut que cette lettre serve pour vous et pour lui : envoyez-la-lui je vous prie. Il aura la bonté de témoigner à Madame la marquise de Bon[n]ac la profonde reconnaissance que j’ai de toutes les bontez qu’elle marque dans les lettres qu’elle a ecrites à Monsieur son fils, et à Monsieur l’ambassadeur. La manière dont elle parle de moi est la plus obligeante du monde, et la plus capable d’inspirer de la vanité aux philosophes les plus rigides. Mais par cela meme qu’elle en dit trop, elle empêche de tomber dans la présomption ; on juge bien qu’il faut donner plus des trois quarts à son honneteté* flat[t]euse, / car aiant autant de lumieres qu’elle a, un esprit si juste, un discernement et un goût si seur, comme je l’ai entendu dire à toutes les personnes qui ont eu le bonheur de la voir, elle ne sauroit se faire de mes petites productions qu’une idée médiocre. L’une des choses qui me feroient souhaiter principalement de revoir le pays natal, seroit la passion extrême de voir à Bonac Monsieur et Madame Dusson, l’honneur et l’ornement le plus beau de la province. C’est un seigneur qui dans un pays où la noblesse ne cultive guère les lettres, a toujours aimé la belle lecture, et fait provision des meilleurs livres, non pas comme d’un simple ornement d’un cabinet, mais pour en tirer les lumières les plus solides de l’esprit.

La barrique des poires et pommes est arrivée depuis 4 ou 5 jours. Je ne saurois assez marquer à Mademoiselle ma très chère cousine votre épouse les sentimen[t]s de ma reconnoissance pour un si beau et si excellent present. J’ai une impatience extrême d’avoir de quoi m’en revancher. Je l’embrasse de tout mon cœur et vous souhaite à l’un et à l’autre toutes sortes de prospéritez. On nous assure que le Roi a resolu de ne plus souf[f]rir que l’on inquiète les pères et mères pour les contraindre d’aller à la messe. Ap[p]renez cela à notre cher ami du C[arla]. /

Madame Charon est morte depuis quelques semaines, ainsi je ne puis m’a[c]quit[t]er de la commission de Mr Boutet. Je le salue et voudrois lui pouvoir rendre mes très humbles services.

J’ai oublié de vous spécifier que Monsieur l’ambassadeur etant parti hier de La Haye, vint s’embarquer ici à Rotterdam sur un yacht de l’admirauté. J’eus l’honneur de l’y accompagner. Il a laissé à La Haie Monsieur le marquis de Bon[n]ac pour avoir soin des af[f]aires en son [absence]. Je n’eus pas à cause de cela la joie et l’honneur de voir ce digne neveu qui élevé sous une si bonne école, et aiant naturellement autant d’esprit et de belles qualitez qu’il a, ira bien loin. Je lui souhaite mille prospéritez. Nous y sommes tous obligez et vous très particulièrement mon cher cousin.

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